Carnet de Route #6 : Seizième Jour

Vague à l’âme à Arequipa

Le carnet de voyage de Zoë Hababou.

Je me suis barrée hier soir vers dix heures. J’ai pris un bus de nuit. Douze heures de trajet en traversant le désert. C’est dingue à quel point dès que je m'arrête un peu longtemps dans un endroit je ressens rapidement le besoin de repartir. C’est peut-être moi qu’ai un problème, mais pour moi le charme d’un endroit ne persiste que durant le temps de sa découverte. Dès qu’on y prend ses quartiers, on se l’approprie, et la merde qu’on a dans la tête se projette alentour. Notre vision, notre état d’esprit se répercute partout où on pose son regard, et l’endroit neuf et féérique n’est plus que le sombre reflet de nous-même. Je m’aperçois que par moment j’arrive plus à sortir de moi-même pour voir le monde tel qu’il est, indépendamment de ma vision triste et négative. 

Je me sens seule. Je croyais que cette solitude me permettrait de me fondre dans la nature au point d’oublier qui je suis. Mais c’est l’inverse qui se produit. Peut-être qu’il me faut d’abord plonger très profondément vers l’intérieur, découvrir à quel point je suis merdique, l'accepter avant de foutre tout ça en l’air et d'acquérir enfin la vue transcendante que je désire si ardemment. 

Cliché pris depuis un bus péruvien, un paysage désolé qui recèle beaucoup de force.

Mais j’en ai plein le cul de me lamenter et d’être toujours triste et insatisfaite. Je suis partie pour révolutionner ma putain de vie, et ça, ça commence par secouer mon esprit et changer de regard. Je sais que c’est un lieu commun, mais permettez-moi de le répéter : ma vie sera toujours la même merde, où que j’aille, si je parviens pas à me débarrasser des fantômes sombres et obsédants qui hantent mes pensées. Le problème justement c’est que ces bâtards sont en moi, c’est pourquoi on dit toujours qu’on peut fuir partout, mais jamais soi-même. 

Cela dit, je crois qu’être immergé dans une autre réalité permet d’avoir un vrai recul, pas seulement imaginaire et mental, mais réel et physique, et que c’est la meilleure occasion possible pour sortir de ses schémas habituels de pensée. 

Alors bordel, qu’est-ce que j’attends pour sauter sur l’occasion et enfin devenir ce que je rêve d’être ?

Tout est si simple ici. Dès que t’en as marre d’un endroit, t’as qu’à sauter dans un bus pour te retrouver dans un lieu complètement différent. Comment est-ce que je peux encore me sentir prisonnière ? Moi qu’en pouvais plus de me réveiller constamment au même endroit, ici je peux enchaîner les hôtels à trois sous et me propulser par bond de six cent kilomètres de la mer au désert, du désert aux canyons, des canyons aux montagnes enneigées.

Arequipa au coucher du soleil, Pérou.

J’ai débarqué dans cette ville ce matin et j’ai pris un taxi du terminal vers le centre, histoire de voir un peu la gueule du bled. Mais ça m’a pas vraiment enchantée. J’ai pris un petit dej franchement foireux : sachet de café soluble déjà ouvert (?), beurre tellement rance que j’ai miséré à l’étaler sur mon petit pain pas tendre du tout, assorti d’une confiote dépourvue de saveur. Ça commençait bien. J’ai fait un soupçon de toilette dans les chiottes, mais le cœur n’y était pas. Alors je me suis payé un paquet de clopes et j’ai repris un taxi illico pour le terminal de bus, retour au point de départ. 

Assise sur un siège en plastique, j’étudie mon guide de voyage et mate les horaires. Dans trois plombes y a un bus qui décolle pour ce village situé juste en haut du fameux canyon qui m’intéresse. Je regarde autour de moi, je m'imprègne. Les gens ont l’air de voyager beaucoup en bus par ici, même les petites vieilles ont pas l’air d’avoir peur des longs trajets. C’est vraiment une autre réalité. Et c’est fou de voir à quel point, quand on est dans son pays, on se rend pas compte qu’une vie complètement différente est en train d'être vécue au même moment sur un autre point de la planète. Je commence à comprendre la différence entre regarder un docu sur Arte et être vraiment là. Tu peux pas avoir de recul sur ton monde si t’en sors pas pour voir comment ça se passe ailleurs. L’infinité des modes de vie me laisse perplexe. Le nôtre n’a rien d’universel. Il existe d’autres réalités. 

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