Carnet de Route #8 : Vingtième Jour
Descente de la mort dans le Canyon del Colca
Sans déconner, cette descente dans le Canyon del Colca a été un putain de truc, qui m’a permis de comprendre quelque chose de majeur dans la vie d’un voyageur : l’intérêt de posséder deux sacs. Le gros que t’as sur le dos, et un petit que tu portes devant sur ton ventre, avec tes objets de valeurs et les quelques trucs dont t’as besoin quand tu pars pour ce genre d'expédition d’un jour ou deux. Les hôtels acceptent souvent de garder ton Quechua dans une consigne, en échange de la promesse que tu passeras une nuit chez eux à ton retour. De plus, quand tu le laisses dans la soute des bus, même s’il lui arrive une couille, y te reste au minimum tes papiers, ton appareil photo, ton fric et tes yeux pour pleurer.
Mais ça, je le savais pas avant de m’engager dans cette descente de la mort, avec mes dix-huit kilos sur le cul. J’ai dû mettre trois heures pour arriver en bas, et la route était putain d’abrupte, de la poussière, de la caillasse qui croule sous tes pieds, du vide… Sans compter l’altitude, j’en tremblais des genoux tellement c’était chaud et tellement cet enfoiré de sac pesait lourd. Parvenue en bas, je suis tombée sur deux mecs, deux français de mon âge, la vingtaine quoi, et je dois reconnaître que c’était cool de parler un peu ma langue avec des jeunes ! On était sous un arbre à fumer des clopes quand deux autres types sont passés, genre quarante ans ceux-là, qu’étaient français aussi. On s’est salués et ils ont tracé la route vers l’espèce de camping sauvage où on allait tous dormir. J’ai fait à l’un des types : Je crois que ces deux mecs sont ensemble, et il m’a juste souri d’un air mystérieux. Plus tard, j’ai compris que lui et son ami étaient en couple aussi, ce qui était assez cocasse, je trouve. La vérité, c’est que c’était canon de passer la soirée avec quatre mecs sans qu’aucun n’essaye de te la faire à l’envers, et puis cet humour gay que j’affectionne tant, sans déconner, quelle chance y avait pour que je rencontre ces deux couples de français le même jour, perdue au fond du cul d’un canyon péruvien ?
Mais je vais trop vite. Avant ça, les mecs et moi on a installé nos tentes (les leurs avaient été louées, encore du poids en moins dans le sac, la mienne je me la coltine en continu) au bord de la piscine naturelle qui longe la rivière sur un terrain à l’herbe rase et verte, parfait, quoi. On a nagé un peu, papoté, et quand je suis retournée à ma tente pour choper de quoi grailler (je suis en mode économie intensive, donc j’évite les restos, je bouffe des pommes et des petits pains ronds individuels comme ils ont ici), ma tente était démontée et ma bouffe disparue. Plus loin j’ai repéré le cochon du propriétaire en train de finir de s’enfiler mes pommes. Génial. Heureusement qu’y avait un genre de petit resto de plein air dans ce canyon, du coup j’ai fini sur une table en rondin avec les deux couples, à bouffer du ragoût de légumes et à boire du vin rouge que le micro-bar proposait.
Putain de soirée ! Trop cool de parler avec d’autres voyageurs ! Les quadras se payaient un tour du monde de six mois, les jeunes un trip Amérique Latine de trois mois. Tout le monde était sur le cul que je sois là pour un an entier, et j’ai dû expliquer que j’avais fait pousser et vendu ma weed pendant trois années consécutives pour en arriver là. Parlant de weed, les jeunes en avaient, ce qui n’a fait que renforcer le délire, la bonne humeur et l’hilarité générale !
Bref, le lendemain les jeunes et moi on devait remonter (les vieux sont partis aux aurores), et le blond a eu la bonne idée de moyenner pour moi avec un muletier qui rentrait au village afin que son animal ramène mon sac là-haut. Bon, cela dit, même sans sac, la remontée à été super rude, et j’ai encore des courbatures aujourd’hui. Mais c’était quand même une putain d’idée ! On a passé le reste de la journée ensemble à Cabanaconde, je les ai suivis dans leur hôtel (histoire d’être débarrassée de Yamil, ouf), et le soir venu on a assisté à l'élection d’une miss de village avec tous les habitants (la moche a gagné, ce qui est bizarre vu qu’y avait que deux concurrentes, mais ça devait être la fille du maire). Et le lendemain, retour vers Arequipa, mais en chemin on a fait une pause sur un mirador à flanc de montagne pour observer le vol des condors (y sont gros !) et une autre dans des sources thermales, histoire de se détendre un peu les muscles (cela dit, c’est un truc de riches, ça, et je compte pas me le payer régulièrement). On a passé une nuit dans le village d’à côté, un truc glauque, boueux, où on se caillait les miches (mais ça m’a mise en contact avec une certaine réalité de ce pays, loin d’être toute rose), et enfin le lendemain matin arrivée ici.
Finalement, Arequipa est une ville rudement mignonne, et mon hôtel possède un toit-terrasse qui la surplombe. J’ai laissé mes deux potes reprendre leur trip de leur côté, et je suis contente de me retrouver seule, en fait. J’aime les rencontres furtives, sans lendemain, où chacun est cash, on se raconte nos vies, on kiffe un moment, et suerte mon ami !
Un truc génial : j’ai acheté un sac plus petit pour le porter devant et ça va me changer la life !
© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés