Carnet de Route #9 : Vingt-Troisième Jour
Les gamines qui chantent tristement, Puno, Lac Titicaca
La route jusqu’ici a été fabuleuse. Des heures et des heures à sillonner des terres austères, froides et brumeuses, parsemées de lacs aux couleurs étranges, parfois animées de troupeaux de lamas, ponctuées de quelques bicoques en adobe, au milieu de nulle part, où jamais un français ne pourrait envisager de vivre…
J’adore ces moments (des journées entières, à vrai dire) où je suis collée à la vitre du bus (je demande toujours un asiento a la ventana), seule avec le monde, à contempler le paysage toujours changeant, ces étendues immenses, imprenables, cette sensation de grandeur qu’on ne rencontre jamais en Europe, sans doute parce que les dimensions des pays elles-mêmes sont carrément plus restreintes que celles d’ici. C’est fou, mais même après dix heures de bus, je suis toujours un peu triste de devoir descendre. Cette suspension hors de tout, qui me plonge dans un état méditatif, comme si je pouvais regarder mon passé, mon présent et mon futur comme une fresque où tout se relie, me fait un bien pas croyable, et je crois que je suis comme qui dirait déjà accro.
Cette ville est moche, honnêtement. Même les abords du lac sont pas terribles. Elle respire une sorte de vice, entre les hordes de touristes qui se bourrent la gueule le soir dans les bars et les locaux à l’air invariablement louche. J’ai dû changer d'hôtel, le premier où j’ai passé la nuit n’avait pas d’eau et coûtait les yeux de la tête. Mais quand on débarque à la nuit tombée dans un bled qui craint, on a tendance à entrer dans le premier truc qui passe à sa portée. Bref, dès le lendemain matin je me suis barrée. Celui-ci est plus clean, presque joli. Mais je vais en changer encore parce que j’ai croisé des gens avec qui je peux partager une piaule, pour moitié moins.
Le premier matin j’ai été visiter en bateau ces fameuses îles Uros, faites en paille qui flotte, et où des habitants vivent pour de vrai, principalement du tourisme, en l'occurrence. Ils vendent des tissus brodés, des bijoux et des babioles en paille. Mais j’ai eu les boules dans le bateau. Des gamines qu’étaient dedans, et qui faisaient vraisemblablement partie du “tour”, se sont mises à chanter pour moi, comme des petits singes savants, concluant leur chanson triste par un “hasta la vista, baby”, que j’ai trouvé affreux. Dans le genre, amuser les gringos. Ça m'a pas du tout fait rire, moi. Je les ai prises en photo pour pas oublier. Me souvenir de cet air sombre qu’elles avaient…
D’une manière générale, j’ai détesté ce truc. Visiter les pauvres locaux, leur acheter des merdes par charité, se sentir con et plein de fric face à eux, le sourire gêné, parce que putain c’est la merde pour eux, mais qu’est-ce que je peux y faire ? Et pourtant, après avoir rencontré ce couple de français (une fille et un mec, des amis apparemment), j’y suis revenue une deuxième fois, sur ces îles, parce que pour aller voir la Isla Taquile et celle d'Amantani (de vraies îles, en dur, ce coup-ci), c’était inclus dans le tarif de passer par les Uros. Comment foutre son fric en l’air, quoi.
Bref, la seconde visite en leur compagnie était plus cool, on a passé l’aprem à crapahuter en shootant le Titicaca comme des malades (surtout moi, à vrai dire, je me découvre une passion pour la photo), et là on est de retour et y vont passer me chercher pour que je déménage dans leur hôtel. Demain on passe la frontière pour entrer en Bolivie, toujours le long du lac, où la ville de Copacabana nous attend.
© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés