Le Coin des Desperados

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Devenir Écrivain : Les Grandes Étapes de la vie d’Auteur

Dire qu’on devient écrivain est sans doute un peu con, puisqu’il s’agit d’une vocation, et comme toute vocation, c’est quelque chose que tu sens en toi depuis toujours, qui possède des racines très profondes, très ancrées, et qui finiront par t’étrangler que tu t’y livres ou pas.

Mais la décision consciente de s’y mettre pour de bon amène de grands bouleversements dans ta vie et surtout dans ta manière de percevoir le monde…

Analyse de la formation d'un écrivain

LE POUVOIR DES MOTS

Y a de fortes chances que cette envie d’écrire qui te taraude provienne de ce que tu lis, et plus précisément de l’effet que ça te fait, de lire. Je sais que beaucoup d’auteurs avouent ne pas lire énormément, ce qui restera toujours pour moi un mystère insondé, même si c’est vrai qu’en devenant auteur à son tour, on devient de plus en plus critique sur le taff des autres, mais là n’est pas la question.

Si t’as eu un jour envie d’écrire, c’est fatalement que plus jeune, t’es tombé sur un ouvrage qui t’a fait un certain effet, et que t’as découvert la puissance des mots.

Il s’agit bel et bien d’un pouvoir magique, et le plus dingue, c’est que c’est même pas forcément la grande littérature et ces fameux classiques avec lesquels on t’étouffe à l’école qui te révèleront ce pouvoir, mais plutôt un bon vieil R. L. Stine, par exemple.

Un bon livre, c’est celui qui te plonge en état d’auto-hypnose, au point de faire disparaître le monde autour de toi (ta petite sœur qui pique sa crise, ton père qui te les brise, le bad boy du lycée dont l’ignorance t’atomise…).

Il est fréquent de commencer son aventure livresque avec les récits d’horreur au suspense haletant, et je trouve que c’est une porte d’entrée royale dans la littérature. Quand t’as appris à ouvrir un livre et à pénétrer dans cette autre dimension, tu deviens rapidement accro, parce qu’elle est bien plus palpitante que ce monde débile qui s’agite en vain au-delà des pages.

Une fois bien préparé, tu vas t’aventurer à lire d’autres genres, et la littérature t’ouvrira toujours de nouveaux univers, magnifiques, insensés, percutants. Transcendants parfois.

Comment de simples phrases alignées sur une page peuvent produire un tel effet ? Quelle est cette mécanique sournoise qui parvient à te faire trembler, pleurer, et rire aussi, tout en t’offrant une ouverture phénoménale sur le monde qui existe au-delà du tien ?

Si telle est ta vocation, tu finiras pas te dire que, bordel, toi aussi tu veux créer un monde.

DES YEUX DE TÉMOIN ET UN ENREGISTREUR DANS LA TÊTE 

Tu veux être écrivain. Tu te sens déjà écrivain. Comment tu le sais ? Oh, c’est simple : ton regard sur le monde a changé. Insensiblement, celui-ci a fini par devenir ton petit théâtre personnel de la condition humaine.

Les êtres qui s’ébattent sur la scène de ta conscience se transforment en symboles, leurs répliques les plus justes se gravent dans ton cerveau, un évènement devient un rouage, une expression de visage un personnage, la vie humaine se métamorphose et révèle son étrange essence parabolique avec laquelle tu vas farcir le moteur de la monstrueuse machine en train de s’assembler sous ton crâne.

Le signe qui ne trompe pas, c’est ce petit carnet dont tu as fait l'acquisition, et dans lequel tu notes fiévreusement chaque idée. Tu es en train de prendre un recul phénoménal avec les affaires humaines, parce que tes yeux sont devenus ceux d’un témoin. Tu observes. Tu t'interroges. Tu notes.

Et au fond de toi, tu jubiles quand ton destin te met face à une situation singulière ou dangereuse, parce que ça va enrichir ton expérience, ton imagination, et donc fatalement ton écriture.

Beaucoup de dessins humoristiques mettent en scène un écrivain en train de se faire dévorer par un monstre ou agonisant sous les roues d’une voiture, mais qui prend des notes comme un maboule en phase terminale.

Voilà ce que cette vocation fait de toi.

Mais ce recul, ce pas à côté de la ligne t’offre quelque chose de rare et de précieux pour un artiste : une vision.

Ton imagination malade va mûrir et transformer ton vécu en l'incorporant à ton œuvre. Un million de petites choses qui n’auraient aucune signification pour un non-artiste vont germer en toi pour aller au-delà du fait et devenir un élément de ton histoire (Haruki Murakami évoque ça avec davantage de précisions dans cet article).

La question est de savoir comment tu vas retranscrire tout ça.

RETOUR VERS LA LECTURE

Ce nouveau super-pouvoir visionnaire va te poursuivre jusque dans tes lectures. Ici aussi, ton regard s’est modifié. Même en lisant, tu te surprends à prendre des notes. Putain, mais elle pète, cette phrase ! Wow, la métaphore de malade ! Merde, mais comment il fait pour faire parler un simple regard comme ça ?

Ce genre de trucs. 

Inévitablement, un risque de léger (nan, énorme) plagiat entre en jeu, mais faut pas s’en faire. C’est normal de copier à mort le style d’un auteur. Ça permet de comprendre son mécanisme, comme si les mots que tu retraces, en passant par tes doigts et ton stylo, transfusaient leurs lois mathématiques à ton âme.

Tu t’imprègnes, tu ingères, tu t’exerces, tu te fais la main, quoi. Un jour viendra où tu trouveras ton propre style, et crois-moi, tu voudras plus le lâcher. Ta manière à toi de traduire en mots ces visions qui te possèdent.

Pour autant, arrêter de lire me paraît complètement incohérent. Déjà parce que quand on aime ça depuis tout petit, lire est une addiction, un refuge, et que je vois pas comment on pourrait s’en passer. Et ensuite, parce qu’on ne cesse jamais d’apprendre. L’infinité des histoires et des manières de les raconter est une source jaillissante qui abreuve ton imagination.

Dieu sait que je place le vécu et l’expérience personnelle au-delà de tout quand il s’agit d’avoir quelque chose à écrire, mais il n’empêche que se confronter sans cesse à d’autres visions artistiques élargit considérablement la tienne, et ça va bien au-delà de la littérature, d’ailleurs. Musique, film, art visuel, danse, un artiste, même quand il se croit accompli, reste une éponge qui se nourrit du contact avec… tout, et sait en faire une affaire personnelle. Puis, universelle.

I FUCKING DID IT !

La première publication est une étape stupéfiante. Si si, le mot est juste. Ça va te scotcher, et puis tu vas planer pendant un bon moment (profite, les suivantes ne font pas le même effet).

Ça peut sembler idiot, mais tenir son propre livre entre ses mains est une sensation unique, la concrétisation d’un lent processus dont les racines remontent à l'enfance pour arriver jusqu'à cet instant T où la perception que tu as de toi-même fait un bon quantique.

C’est comme si tu tenais la totalité de ce que tu es, là, dans tes mains, sous tes yeux.

Ta réflexion, ta lutte, ton imagination, ta volonté, ton vécu, tout ce que tu as laborieusement réuni, bricolé et assemblé, comme une sorte de conservateur de musée de monstruosités, pour engendrer ceci, un livre.

Ton livre. 

Plonger dedans est une véritable redécouverte. Voir tes mots imprimés comme s’il s’agissait de ceux d’un autre coupe le souffle, et provoque un déferlement d’émotions proche de l’extase. Ça non plus, ça va pas durer… Mais ce sentiment d’être quelqu’un d’autre, quelqu’un de nouveau (ou peut-être juste véritablement toi-même ?), en revanche, ne va plus te quitter.

Et j’ajouterai que le regard des autres aussi va s’en trouver modifié.

Un accomplissement ? Évidemment que oui.

UN VRAI ÉCRIVAIN

Hors de question de te reposer sur tes lauriers pour autant. Cette nouvelle force qui ruisselle en toi, tu dois la mettre à profit, et vite. Puisque désormais tu sais que tu peux le faire, faut que tu surfes sur la vague initiée par la publication. Pas de procrastination, pas de syndrome bidon de la page blanche, tu sais écrire, et c’est donc ce que tu vas faire.

Je garde toujours en tête l’histoire de cet écrivain célèbre (me souviens jamais lequel), qui s’était donné un temps imparti chaque jour pour écrire. Même s’il arrivait à la fin d’un roman, si le temps consacré à l’écriture du jour n’était pas écoulé, il se contentait d’écrire le mot fin au cul de son manuscrit, puis sortait une nouvelle feuille pour commencer son prochain roman.

Tu vois le délire ? Putain, ça c’est pas de l’écrivain en carton ! Voilà l’exemple à suivre !

Le truc, c’est que plus tu prends l’habitude d’écrire, plus ça vient facilement. Pas de tergiversations, pas de prétextes à la mords-moi-le-nœud. Puisque tu cries au monde depuis toujours que c’est ta vocation, bah vas-y, prouve-le. Et tu verras que l’habitude d’écrire chaque putain de jour que Dieu fait va s’ancrer en toi au point que t’auras plus le moindre désir d’arrêter. 

C’est juste un peu dommage que les publications suivantes ne recèlent plus la magie de la première, mais je suppose que c’est inévitable. Cela dit, je pense que ce serait pas mal de balancer un petit conseil à l’emporte-pièce : reste dans le présent.

Peu importe si tes livres se vendent peu, que l’extase s’est atténuée, que désormais quand tu lis ce que t’as publié, t’as envie de tout changer voire même de tout cramer, parce que c’est plus assez bon pour tes nouveaux critères. Évite de regarder en arrière, et te projette pas non plus dans le futur, en te disant que tu seras vraiment heureux quand tu pourras enfin vivre de ta plume.

Nope.

La seule chose qui doit t’importer, c’est cette putain de phrase que tu tritures depuis tout à l’heure pour qu’elle colle le plus possible à la vision qui hante ta tête et gémit dans ton âme. Cette unique phrase, rien d’autre.

VERS L’INFINI, ET AU-DELÀ…

Il existe des secrets que seule la pratique de l’écriture peut dévoiler. Bon, ouais, l’art en général y est acoquiné, mais je me demande si c’est pas plus difficile avec des mots, qui sont après tout des concepts. L’art visuel, la musique sont plus abstraits, et donc peut-être un peu plus en contact direct avec cette chose dont je parle.

L’écriture doit louvoyer pour l’atteindre, et le pire, c’est que ça résulte même pas d’un processus ou d’une volonté consciente, et qu’il est donc impossible d’appliquer une loi pour le produire ou le reproduire à l’infini. Et si on tente malgré de tout de le faire et de forcer le truc, ça tombe complètement à l’eau !

Quelle est cette diablerie ?

La portée symbolique. Ce qui fait qu’une œuvre est véritablement une œuvre d’art.

Alors, certes, c’est pas quelque chose qui s’apprend ou qui s’enseigne, et le premier livre d’un jeune auteur peut la posséder sans qu’il en ait conscience, et sans même qu’il sache comment il s’y est pris, tandis qu’un autre pourra s’escrimer toute sa vie durant sans jamais l’atteindre. Mais l’imaginaire, qu’il soit personnel ou collectif, est nourri d’expériences et de légendes, il résonne à travers le destin d’un être ou de l’humanité, que celui-ci soit réel, ou fictif.

Le symbole existe dans nos vies, ce n’est pas un artefact dont le but est juste de bouleverser le spectateur ou de hisser son œuvre au rang de classique. Un artiste doit savoir l’identifier, dans l’œuvre de ses prédécesseurs, ainsi qu’au sein de son propre monde.

Stephen King en parle dans son magistral Écriture : Mémoires d’un Métier (sérieusement, tout aspirant écrivain ou écrivain confirmé devrait se le procurer).

L’idée n’est pas de s’efforcer de créer du symbolique, mais de le reconnaître quand il apparaît, et de s’en servir comme boussole pour amplifier la portée de son message.

C’est bien connu, nombre d’artistes sont surpris par leur propres œuvres, qui prennent souvent des directions non planifiées, qui les mènent bien au-delà du propos de base. C’est le côté magique de la création. C’est là qu’on touche parfois au génie.

Et soyons francs, seul cet aspect universel du symbole peut véritablement parler aux autres, et leur apporter quelque chose.

Un artiste ne peut pas et ne doit pas se contenter de la surface des choses. En tant que créateur, il sait que son œuvre n’est rien de plus que l’exhumation d’une chose qui lui préexiste.

Il s’agit d’un squelette immense, éternel, dont il ne pourra jamais mettre en lumière qu’une infime partie. Mais c’est son devoir de creuser, d’excaver, de polir et de rendre à la vie ce qu’il a découvert.

Ce squelette est celui de l'inconscient collectif, auquel nous sommes tous reliés. C’est la raison pour laquelle une œuvre nous parle, à nous personnellement, ainsi qu’au monde entier.

Le symbole est un signe de cette vie profonde, retranchée en soi, souvent inconnue, qui nous anime pourtant tous et rayonne à l’intérieur. Parfois il nous parle sans qu’on s’en rende compte, mais sa portée, son message n’en est que plus réel, que plus efficient. 

Un artiste est un canal pour la transcendance, et son œuvre, un catalyseur.

Et même s’il ne pourra jamais maîtriser cette magie, son devoir consiste à apprendre à danser avec elle un tango endiablé. 


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