Histoires de l’Autre Monde
Des plantes qui s’adressent à des Hommes, des Hommes qui hésitent entre sagesse et pouvoir, du pouvoir qui se transforme en sorcellerie, une sorcellerie qui anime des entités aux intentions troubles, et des consciences, plongées dans la transe, explorant leur possibilités quantiques… Aucun doute possible : vous êtes passé… de l’autre côté !
N’avez-vous jamais senti que l’univers ne s’arrête pas à ce que vous pouvez en percevoir ? Et si les contes étaient un portail d’accès vers cette autre dimension ?
Les histoires qui suivent risquent d’attaquer votre monde ordinaire pour y secréter leur venin. Mais ce venin-là est aussi l’antidote.
Laissez-vous hypnotiser, et immergez-vous les yeux grands ouverts dans ces visions qui s’ouvrent à vous…
Un jour Toi aussi…
— Et ensuite, qu’est-ce qu’il s’est passé, Abuelito ?
— Ensuite ? Ben, ça a pris des années avant que je m’engage pour de bon dans cette voie. J’aimais l’idée d’aller soigner les gens d’autres civilisations, et je me sentais très fier d’avoir été choisi pour devenir une sorte de précurseur en la matière, mais j’étais complètement démoralisé en pensant aux années de souffrance et de sacrifice qui m’attendaient. J’avais que six ans, c’est vrai, mais je connaissais la difficulté de cette voie. Tous les gosses du village savaient que certains types allaient s’isoler dans les bois pendant des années, sans voir personne, sans presque rien manger, afin d’acquérir le pouvoir de guérison. Et aucun de nous ne les enviait, ça je peux te le dire. Et puis, bien que je puisse pas t’expliquer comment, je savais aussi qu’on pouvait faire une croix sur les filles avec ce genre d’engagement. Pas pour toujours, bien sûr, mais bon, je dois t’avouer que ce truc-là, par-dessus tout, ça m’emmerdait carrément. Faut dire qu’à ce niveau, j’étais un peu en avance sur mon âge, et l’idée de renoncer à toutes ces femmes blondes qui peuplaient mes rêves de puceau, c’était pour moi un renoncement inadmissible…
Il fit une pause pour rallumer son mapacho et vérifia sa canne à pêche. Son petit-fils semblait hésiter entre le rire et l’embarras. Le vieux savait à quoi il pensait. Il savait qu’il était préoccupé par cette histoire d’abstinence. Pas de chance, il allait devoir y passer, lui aussi.
— Ça te faisait vraiment pas envie, de devenir un homme de savoir ?
— J’étais trop jeune pour comprendre la valeur de la connaissance en elle-même. Et puis c’était pas dans ma nature. Être chaman, c’est une vie dédiée aux autres, et pour un petit égoïste comme moi, ça n’avait rien d’enviable. L’autre truc aussi, et on peut dire que c’est la réflexion la plus sage que je nourrissais à l’époque, c’est que j’étais pas du tout sûr d’être capable de pas me servir de mon pouvoir à des fins personnelles.
— Devenir brujo plutôt que curandero, murmura le jeune, presque avec gêne.
— Ouais.
Ils se regardèrent en silence quelques secondes, les yeux rongés par la même flamme.
— Tous les chamans sont confrontés à ce choix durant l’apprentissage. Mon abuelo m’en avait beaucoup parlé. Lui savait très bien quelle voie il voulait suivre. Mais moi, qui m’en foutais royalement de venir en aide aux gens, qu’est-ce que j’allais choisir ?