Le Coin des Desperados

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Borderline : Les Entrailles

On ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Nous avons besoin de livres qui agissent sur nous - un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous.

Franz Kafka

Genèse d’une Saga Chamanique

MES INFLUENCES LITTÉRAIRES

Des influences, y en a eu un paquet. Comme beaucoup d’auteurs je lis énormément, et plus jeune j’ai commis pas mal de pastiches, voire de plagiats éhontés avant de trouver mon truc.

Celle dont j’ai eu le plus de mal à me détacher, c’est Chuck Palahniuk. C’est lui, indiscutablement, qui incarne mon maître à penser en matière d’écriture.

Son style reflète une sorte de minimalisme, d’économie des mots qui rend le peu qu’il dit dévastateur. Une puissance concentrée en un choix de vocabulaire restreint, qui développe une force de persuasion incendiaire. D’autre part, ses livres regorgent d’informations, que ce soit la recette d’une bombe faite maison ou la philosophie des Esséniens. Comme ça, entre la poire et le fromage.

Moi aussi, je veux dire des choses. Des choses qui frappent. L’enchaînement creux de jolies phrases au vocabulaire recherché qui sont là pour éblouir m’écœure.

Au tout début de Borderline, alors que je lisais Fight Club, je pouvais pas imaginer meilleure manière d’écrire, et je copiais donc Chuck Palahniuk sans vergogne.

Par la suite, Charles Bukowski s’est incrusté dans ma bibliothèque, et j’ai découvert qu’on pouvait écrire sur des choses banales, et surtout trash, comme pour en inciser la normalité afin de révéler la poésie qu’elles portent en elles.

Et puis ça a été au tour d’Hunter S. Thompson. Ajuste ta visée et tire. Diaboliquement intelligent, désabusé et franc du collier, cet homme reste un exemple pour tout écrivain qui aspire à regarder le monde d’un œil cynique pour le retranscrire en mode gonzo.

La liste serait longue, en fait, mais je vais ajouter Nietzsche, bien sûr, dont j’ai dévoré l’œuvre entière à 17 ans, et dont les aphorismes m’ont donné l’idée de la forme fragmentaire de Borderline. Inutile de dire que sa philosophie imprègne toute mon œuvre.

Herman Hesse, et notamment son Demian, m’ont montré la voie vers le récit initiatique. Theodore Sturgeon a fait germer des idées de marginaux infirmes qui se révèlent plus humains que la moyenne. Sam Shepard m’a fait goûter à la beauté de l’errance.

Et enfin, Carlos Castaneda, très souvent cité dans Borderline, qui est pour moi le nec plus ultra de la quête spirituelle accompagnée de substances psychotropes !

Toutes ces œuvres ont été pour moi des claques magistrales, et salvatrices, des uppercut qui ont changé ma vision du monde et de l’art.

Certains auteurs osent foutre un coup de pied dans la norme, autant dans le fond que dans la forme.

Le trash, les gros mots, les idées fortes et révolutionnaires, ou bien encore la poésie que peut renfermer une vie qui n’a rien d’héroïque, mais qui colle au contraire aux bas-fonds de l’espèce humaine…

Cette sorte d’écriture fiévreuse possède un fort impact sur la conscience des lecteurs, et il était donc logique que je veuille provoquer le même écartèlement de l'esprit chez les miens. Pas envie d'écrire un truc gentillet, mais plutôt quelque chose qui secoue, qui cogne, qui bouleverse, et qui continue à faire son chemin une fois le livre refermé.

MON STYLE

Peu importe, du moment que c'est en accord avec ce qui est dit. Certes, plus ça va, moins je supporte les styles fleuris qui tournent autour du pot en se masturbant à coup de vocabulaire clinquant pour énoncer les choses. Mais ça vient d'une position globale face à la vie, qui s'affirme chez moi de jour en jour.

Je veux plus de tortillage de cul. Je veux du brut, du sec, du qui claque. Je veux plus lire d'histoires jolies mais putain de creuses. Donc il est fatal que j'apprécie les styles tranchants.

Mais ça n'empêche pas qu'il faille par moment se laisser aller à des métaphores filées, des phrases longues, parfois lyriques, jusqu’à expurger toute la lie du message.

Mon style est plutôt minimaliste. Pas de descriptions infinies. Des phrases courtes, incisives, lapidaires. Mes descriptions sont rarement de lieux, mais plutôt psychologiques. Mes métaphores se concentrent sur l’exhumation des émotions.

Je pense que pour avoir de l’impact, un style doit être honnête. Du moins c'est ce qui marche le mieux sur moi.

Palahniuk y va franco. Il exprime des idées très fortes en très peu de mots, mais il les choisit bien. Ils n'ont rien d'original, mais ce qu'ils disent a une portée démoniaque, démultipliée par leur simplicité et leur concision.

C'est là que réside, selon moi, la vraie force de la littérature.

D’autre part, j’écris à la première personne car c’est l’immersion totale que je vise. C'est mon objectif. Le personnage prime sur l'histoire, et c'est ce qu'il traverse au sein de son propre esprit qui vaut le déplacement. En tant qu'auteure, c'est la fusion qui m'intéresse. En tant que lectrice aussi d’ailleurs.

J'ignore pourquoi la psychologie humaine me fascine autant, sachant que je suis affreusement solitaire (pouvez pas imaginer à quel point…), mais voilà. Et je trouve que notre réel travail en tant qu'auteurs est justement cette force immersive. C'est ce qui rend ce boulot intéressant.

MES THÈMES

Borderline explore un paquet de thèmes.

L’axe central, cela dit, c’est celui de la liberté. Sous toutes ses formes. On passe de la vague rébellion adolescente à la lutte intestine entre un Homme et son ego, au sein de sa propre conscience.

Il est donc question de liberté sociale, morale, et personnelle, et cette quête se traduit à tous les niveaux du livre.

Parlant de niveaux, j’aimerais revenir sur cet aspect qui laisse certains lecteurs perplexes (du moins, avant qu’ils captent le délire et trouvent ça finalement canon !) : les titres.

Borderline commence par les niveaux inférieurs, et incarne le concept d’évolution, sorte de voyage initiatique qui commence au stade de la larve pour conduire à celui de guerrier.

Les Souterrains symbolisent cette partie primitive de l’Homme gouvernée par les pulsions primaires. Un lieu chaotique, ténébreux, la salle des machines où des forces inconnues tirent les ficelles en sourdine.

Ensuite, l’Homme entre dans Le Labyrinthe. Il tâtonne, tourne, vire, se trompe sans cesse de chemin. Les méandres de son esprit l’induisent sur de fausses pistes. Les cris menaçants du Minotaure retentissent au loin. Son fil d’Ariane doit être sa volonté indéfectible (ou sinon, il pose sa main droite sur un mur sans la décoller et c’est bon !).

Puis il débouche sur La Caverne, royaume des illusions cher à Socrate, où les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent être. La marionnette prend conscience des fils qui l’entravent, mais galère à identifier qui tire dessus. Les démons émergent et quittent leur rôle d’épouvantails pour dévoiler leur vrai visage. L’Homme fait face à lui-même, et aspire à sortir pour voir le vrai monde. La souffrance de la désillusion provoque l’écartèlement nécessaire à l’émergence de la vérité.

Et alors, l’Homme atteint enfin La Surface. Sa propre surface. Mais rien n’est gagné pour autant… La surface est à double-tranchant, comme un lac ou un miroir dans lesquels la réalité et son reflet inversé ne sont pas toujours identifiables. C’est pourquoi ce tome-là se présente en deux livres, dont les couvertures se répondent…

Vient ensuite le thème du deuil, de la guérison, de la mort et de l’amour. Ouais, parce que j’en fais jamais état, mais Borderline c’est sans doute la plus belle putain d’histoire d’amour qu’existe !

Un amour au-delà de toutes lois. Morales. Et même temporelles.

L’UNIVERS DE BORDERLINE

Beaucoup de lecteurs s’interrogent sur la part de réel et d’imaginaire qui se trouvent dans Borderline. Ils savent que la vie de Travis s’inspire énormément de la mienne, mais je crois que le point qui leur échappe, de par sa nature foutrement surprenante, est celui-ci :

Est-ce mon œuvre qui se nourrit de mon univers, ou ma vie qui s’enrichit de mon œuvre ?

Borderline, je le porte en moi depuis toujours. Parfois même je me demande qui préexiste à l’autre, et qui de Travis ou moi est plus réel que l’autre. Cette histoire, je la tiens depuis mes 14 ans (même avant si on prend en compte les tâtonnements qui m’ont conduite jusqu’à sa forme définitive), et vu que je déteste écrire sur ce que je connais pas, j'ai orienté ma vie vers les mêmes expériences que Travis, pour pouvoir ensuite les retranscrire.

Je crois dur comme fer que ma volonté a aimanté des événements que j’aurais jamais vécus si je les avais pas convoqués pour pouvoir les incorporer à l’histoire. De plus, chaque chose que je lis, regarde, écoute ou vis est destinée à se retrouver dans la saga. Je prends des notes de partout. Je m’imprègne, je cogite. Je fais aussi énormément de recherche.

Mais il y a quelques surprises, comme l’Ayahuasca.

Lors de mon premier trip au Pérou, j'ai rencontré Wish, le chaman destiné à devenir celui de Borderline, exactement de la même manière que décrit dans le Tome 1. Et à mon retour, sans le voir venir, je me suis aperçue que Travis se dirigeait vers lui et vers le monde de la plante. C’est comme ça que je me suis retrouvée avec une saga.

L'Ayahuasca est devenue le pilier central de Borderline, celui autour duquel tout s’articule.

Donc ma vie et mon œuvre sont intimement connectées. Chacune de mes expériences et chacun de mes émois, artistiques ou autre, se retrouvent fatalement dans mes livres.

Le cinéma possède une grande influence aussi. L'errance chère à Jarmusch, la révolte de Django, la rencontre explosive et cathartique du Joker avec lui-même...

Tout est influence, imprégnation permanente, et Borderline évolue en fonction.

MES INTENTIONS

Comme je le disais plus haut, j’écris pas pour divertir. J’ai fait mienne la déclaration de Kafka.

Si l’histoire de Travis et de sa sœur jumelle Tyler est rock’n’roll, jouissive et pleine de suspense, l’idée première reste que ces livres apportent quelque chose aux lecteurs, de la même manière que les œuvres de mes idoles ont changé ma vie.

Il serait prétentieux de prétendre décrire ici l’effet que je cherche à produire sur l’âme des lecteurs, et puis ça me regarde pas. Tout ce que j’espère, c’est provoquer une incision.

Qu’il s’agisse d’une microscopique fêlure ou d’une claque légendaire, tout ce qui m’importe, c’est qu’il se passe quelque chose, au niveau de la conscience de celui qui tient mes livres entre ses mains.

L’INTRIGUE DE BORDERLINE

Je serais incapable de dire d’où m’est venue cette étrange histoire. Je l’ai exhumée petit à petit en me connectant à l’âme de Travis. C’est lui que j’ai identifié en premier.

Le personnage principal est la naissance. Tout part de lui.

La question, c'est : avec cette personnalité et ces idées, à quoi peut ressembler sa vie ? Et en vérité, y avait pas trente-six réponses possibles.

Quelqu’un qui refuse tout conditionnement sera fatalement amené à franchir les limites de la morale, et finira donc marginal. S’il ne plie devant personne lorsqu’il est jeune, dans un pays comme les États-Unis, c’est la maison de correction qui l’attend. S’il cherche sans cesse ses propres limites et celles du monde, alors la drogue et l’autodestruction trouveront la voie vers lui.

Qu’est-ce qu’il peut donc rester à un tel être ?

L’errance. Mais cette existence de fugitif n’est pas pour autant privée de toute boussole.

Un Guerrier solitaire a en lui quelque chose qui le fait tenir : son cœur. Et sa volonté de savoir de quoi il est fait.

Si la connaissance de soi est l’unique chemin vers la liberté, alors un Homme tel que Travis croisera sur sa route un guide prêt à lui enseigner comment lutter. Car quand l’élève est prêt, le maître apparaît. Et la connaissance de soi impose l’explosion des frontières de soi et du monde. Vous le sentez venir ?

Oui. L’Ayahuasca.

Voilà le cheminement que j’ai parcouru pour aider cette histoire à venir au monde. De la logique, et de l’intuition. Comme vous le voyez, l’intrigue en elle-même n’est rien. Ce que je veux, pour moi en tant qu’auteur et pour mes lecteurs, c'est explorer à fond la psyché d'un personnage. Voir le monde à travers ses yeux. La focalisation interne est pour moi le summum de l'écriture.

Une histoire n'est rien s'il n'y a personne pour l'engendrer, et pour la vivre.

LES PERSONNAGES

Il y a finalement très peu de personnages dans Borderline, surtout pour une saga de cette envergure.

Le couple de jumeaux Travis/Tyler représente le côté masculin/féminin d'une même âme, la mienne en l’occurrence. Tout ce qu'ils sont, c'est moi. Ils pourraient pas posséder une telle vie, une telle vérité, si c'était pas le cas. Leurs idées sont les miennes, leur combat aussi.

Durant une cérémonie d'ayahuasca, je me suis rendu compte que Travis vivait en moi d'une manière indépendante. C'était assez surprenant. Il m'a semblé avoir été choisie pour conter son histoire. Et j'ai réalisé que sa vie, son message, étaient plus importants que ma propre vie.

Qui existe l'un à travers l'autre ? Chez moi, cet aspect est très flou...

D’une manière générale, les personnages ne sont pas créés dans le but de servir le récit. Ils apparaissent plutôt comme partie prenante et inévitable de l’histoire, puis se développent seuls, sans fiche, sans plan de ma part. Je les découvre à mesure que j’écris.

Le plus cool, c’est quand je réalise ensuite, avec du recul, qu'ils incarnent en réalité des archétypes, ou du moins qu'ils possèdent une portée symbolique.

C'est justement ça qu’est magique dans l'écriture. Créer ses persos sans volonté de métaphore, sans se servir d'eux pour incarner une idée, et comprendre ensuite qu'ils sont bien plus que de simples persos, et représentent différentes visions de l'existence.

C'est ça, un bon personnage. Partir de quelqu'un de normal, et capter ensuite qu'il est si abouti, tellement en accord avec ce qu'il est qu’il devient quelque chose de plus, comme l'incarnation d'un symbole.

Ainsi, Wish le chaman est Le Guide, Spade le psychiatre L’Alter-Ego Diabolique, Fletcher le commandant du centre de redressement L’Esprit du Mal, le petit clodo L’Espoir, la mère des jumeaux La Génitrice Anthropophage…

Tyler ? Tyler… Même pas en rêve vous m’entendrez m’exprimer sur elle !

Et enfin, le Jaguar… Et la voix du Samouraï que Travis entend dans sa tête. Ceux-là, je vous laisse choisir ce qu’ils sont…

Mais tout ça n'est pas réfléchi. Ça vient, et je m'en aperçois après.

Travis, lui, vit en moi d'une manière autonome. Je l'ai clairement compris lors de cette cérémonie d'ayahuasca. Une nuit, la plante m’a connectée à sa souffrance. C'était plus Zoë qui se met dans la peau de Travis, mais bel et bien Travis qu’était passé au premier plan. Je pleurais pour Tyler que j'avais perdue. Penser à elle, à sa mort, me retournait d'une manière affreuse, pire encore que mes propres souffrances dans ma vraie vie.

C'est là que j'ai réalisé que Travis existait vraiment. J’ignore où, j’ignore comment, mais vu la réaction des lecteurs, ça leur fait le même effet. Ils parlent de lui comme s’il avait un jour vécu, que Borderline était un manuscrit trouvé par hasard.

Cette nuit-là, je me suis dit que c'était ça qu'il fallait atteindre, en tant qu'écrivain. Se relier avec cette force-là à son personnage, au point de voir la vie à travers ses yeux.

LE TEMPS DANS LE RÉCIT

Le temps n’est pas une notion stable dans Borderline. Oui, ça désoriente au début. Du moins, quand on a jamais eu le plaisir de lire des livres comme Monstres Invisibles, par exemple.

De plus, j'écris à différents temps. Vu que le récit de Travis est un puzzle où passé proche, lointain, présent, rêve, hallucinations et réflexions s'entremêlent et s’interpénètrent sans cesse, je suis obligée de varier, mais j’aime ça.

Le présent possède un impact franc, ça tacle. Le passé permet le survol qu’offre une vision plus globale, avec un brin de recul et de sagesse supplémentaire. Les labyrinthes cognitifs autorisent une sorte de perte de contact avec le réel qui, personnellement, me fascine.

N’allez pas croire que les morceaux de la vie de Travis sont jetés n’importe comment selon l’impulsion du moment. Si vous regardez bien, vous verrez les liens qui existent entre des époques et des réflexions qui n’ont à première vue rien en commun.

DE L’AUDACE

L’audace est une valeur que j’encense, dans la vie comme dans l’art, d’autant plus à cette triste époque où absolument tout se doit d’être étiqueté et approuvé par les hautes sphères de la connerie humaine. Donc fatalement, mes livres se veulent freestyle. C’est une chouette époque pour nous les artistes, de devoir prouver notre liberté de créer !

Au niveau de la forme :

Récit puzzle à la chronologie anarchique. Je ne peux et ne veux faire autrement, même si on m'a fait remarquer qu'au début, le lecteur est perdu. Mais dès le départ on est précipité dans la tête de Travis, qui sort de plusieurs mois dans la jungle, en plein bad trip dans un hôtel. Il est littéralement consumé et possédé par ses démons. Logique que ça parte en live total à mesure qu'il revit et raconte ce qui lui est arrivé.

Ensuite, faut reconnaître que j'aime cette forme. Comme dans les films Memento et 21 grammes, j'aime avoir des éléments disparates que je tente de relier dans mon cerveau. J'aime aussi les aphorismes de Nietzsche, qui pour moi constituent autant de fragments qui sont comme des poèmes à part entière, chacun valant pour lui-même, autant qu'au sein plus global de l’œuvre. Comme les tableaux de Dali qui représentent plein de petits univers, mais qui, quand on se recule, se révèlent comme appartenant en réalité à une image entière, pourvue d’une autre signification.

Les nouvelles aussi incarnent cet aspect. Des micro-mondes dont on ignore tout, qui prennent place à l'intérieur d'une histoire qu'on doit deviner, ou inventer.

Pour finir, cette forme de puzzle où passé, présent et futur se relient est pour moi un symbole de la vie humaine.

Cette façon qu'ont les événements de continuer à vivre en nous, presque d'une manière indépendante, et de ressurgir sans qu'on les ait convoqués. Les choses qu’on comprend des années après avec un nouvel éclairage. La manière dont le temps se déforme quand on vit dans la souffrance. La possibilité d’une prescience du futur, les étranges synchronicités.

Borderline s'efforce donc de représenter tout ça dans sa forme. Et j'aime que le lecteur ait un travail à fournir pour appréhender l'histoire.

Toujours dans la forme, le récit de Travis est écrit en langage parlé. Donc quasi absence de négation, gros mots et compagnie. Buko et Palahniuk l'ont fait avant moi, une fois de plus, mais reconnaissons que ce n'est pas si courant, ni particulièrement bien accepté.

En ce qui concerne le fond…

Je dirais que l'audace majeure concerne l'ayahuasca, cette plante psychotrope visionnaire qui est une médecine en Amérique Latine, mais que beaucoup ici considèrent comme une drogue. D'ailleurs Travis se drogue aussi à l'héroïne (et à plein d’autres trucs) pendant un moment, mais bon, après Christiane F ou Transpotting, c'est soft.

Borderline est la première fiction qui incorpore l’ayahuasca dans sa trame, en lui offrant le rôle d’un véritable personnage.

Jusqu’à présent, il n’y a eu que des essais anthropologiques ou autobiographiques sur le sujet. Ça va probablement pas durer, mais je suis vraiment contente d’avoir eu le courage de tenter le truc, malgré le boulot de malade que ça a représenté, et du coup, la niche assez restreinte dans laquelle ça me positionne. Mais visiblement, des lecteurs qu’en avaient jamais entendu parler s’intéressent désormais à la plante, et sont très réceptifs au potentiel de guérison que le chamanisme propose.

L'idée audacieuse est donc de présenter l'ayahuasca aux Occidentaux comme un moyen de se connaître soi-même, de se soigner de sa propre essence malade, et d'expliquer au travers de l’histoire de Travis que les psychotropes ne sont pas de vulgaires drogues récréatives, mais bel et bien une porte vers la connaissance de soi et du monde.

Ce sujet me tient vraiment à cœur, parce que je sais de quoi je parle.

Pour finir, le message global de Borderline est politiquement incorrect, et selon moi, révolutionnaire. La quête de la liberté est explosive et fait valser toute morale et tout bien-pensance. Travis va vraiment au bout de lui-même.

Et chez lui, c'est pas juste une jolie maxime.

L’ÉCRITURE ET MOI


Quand je me lève le matin pour une journée d'écriture, je suis si excitée que je sais, sans l'ombre d’un doute, que je suis venue au monde pour ça (rien à voir avec quand je me lève pour aller faire serveuse).

Mon but ultime est de devenir digital nomad à temps plein, sans plus jamais sacrifier le peu de temps que j'ai sur Terre à faire un job zombifiant, dépourvu de signification.

A peine fini un tome, je pense qu'à écrire le suivant, sans fatigue, sans lassitude.

L'écriture est pour moi quelque chose de terriblement significatif, et réel, au sein d'un monde qui bien souvent n'est qu'une triste routine en pâte à modeler.

L'exaltation que j’éprouve quand j'écris ou quand je parcours le monde, droit devant, en plein cœur de l'Inconnu, est pour moi la seule vraie vie possible.

Et j'espère du fond du cœur que ça se ressent dans Borderline, que cette œuvre n’est pas juste un passe-temps mais quelque chose qui a plus d'importance que ma propre existence.

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