Carnet d’ayahuasca #5 : Cinquième Cérémonie

Intention : Fais-moi découvrir le monde d’en-haut

Cette fois-ci, c’est venu vite et fort. J’avais fait l’erreur de manger vers 16h, pour éviter le mal de bide de la dernière fois, mais du coup quand j’ai commencé à gerber, c’est-à-dire presque direct après avoir bu, c’était carrément affreux. Je pensais pas que trois noix du Brésil et une pauvre banane rendraient une purée si épaisse et si difficile à sortir. 

La vallée sacrée, Pisac, Pérou.

En tout cas, une fois ça évacué, j’ai pas dû attendre plus de cinq minutes avant de me mettre à respirer super fort et à sentir ma tête lourde. C’est dingue, Wish avait même pas encore éteint les bougies que je surfais déjà à toute berzingue sur les vagues de la transe en train de monter. Mais je dois reconnaître que j’étais soulagée de pas avoir à attendre une heure et demie comme pour les cérémonies précédentes. Quand il a vu que l’ayahuasca m’avait sous son emprise, il s’est mis à chanter pour guider le voyage qui débutait…

C’était hors de question de subir le trip allongée comme la dernière fois, alors d’emblée je me suis positionnée différemment, le cul posé sur une couverture repliée, les jambes en tailleur, les épaules droites, menton légèrement rentré, comme si je méditais, quoi. Je me sentais bien surélevée comme ça. Bien plus noble, bien plus sérieuse. Mon esprit semblait épouser la posture de mon corps, s’aligner sur lui, faisant de moi une sorte de guerrière, auréolée de grâce.

Les arbres face auxquels je médite durant ma diète d’ayahuasca au Pérou.

Ça a été à la hauteur de ma demande. C’est bel et bien le monde d’en-haut que j’ai vu. Cette dimension de l’univers où les esprits les plus sages, les plus élevés, diffusent leur savoir en un langage constitué d’images d’éternité et de sensations pures, dénuées de cet aspect égotique, presque maladif, qu’elles possèdent dans le monde ordinaire, celui du milieu.

J’étais tout près de Wish, et sa voix m’ouvrait un nouveau monde… Celui de l'espace, de l’infini… Celui du monde quantique, où la conscience d’un Homme devient créatrice, comme si le courage, la volonté, et surtout l’intention, n’étaient pas de simples mouvements psychiques mais bel et bien des forces capables d’influencer la matière dont est fait le monde, et donc l’expérience qu’un Homme peut connaître…

C’est fou, la façon dont l’ayahuasca s’adresse à toi. Comment tu peux comprendre des choses si difficiles, si dures à appréhender ordinairement, sans passer par les concepts, comme si son message imprégnait tes atomes par osmose, et que tu devenais apte à voir au travers de ses yeux. Comment de simples images, de simples visions peuvent-elles induire en toi une telle connaissance, une compréhension bien plus profonde que celle entrainée par les mots ? Quel est ce langage spécifique, visionnaire, que la plante utilise pour s’adresser à toi ?

Je crois que ça restera toujours pour moi aussi stupéfiant, peu importe le nombre d’incursions que je pourrais faire dans cet univers. Mais c’est bon d’avoir trouvé un lieu où le paradigme n’est plus le même. Un endroit magique où le savoir entre en contact direct avec toi sans passer par l’entremise de la mentalisation. L’esprit silencieux, le corps en émoi, irradié de l’intérieur par un mystère plus profond que celui de la vie elle-même, ce monde me fascine et j’aurais pas assez de toute une existence pour l’explorer…

Quoi qu’il en soit, ce monde d’en-haut est une merveille, et c’est magnifique de se laisser toucher par cette impression d’élévation, d’éternité. De force et de beauté…

Wish chantait toujours, et je ressentais le besoin de chanter avec lui. Enfin, disons, juste prononcer, en chuchotant, les icaros qu’il formulait sans trêve. Vu que chaque strophe se répète plusieurs fois, c’est pas si dur en fait. Alors je chuchotais de mon côté, découvrant une nouvelle dimension de l’ayahuasca. 

Wish, mon chaman shipibo, quand il était plus jeune.

Les yeux fermés, j’avais la vision de lui en train de chanter, paupières baissées, concentré à l’extrême. Le truc bizarre c’est qu’il avait les cheveux très longs, comme quand il était jeune, comme ces indiens fringants du cinéma. C’était beau de le voir comme ça.

Je respirais longuement. C’est incroyable comme le souffle peut devenir puissant en cérémonie, et pas que dans le sens purement physique. J’ai l’impression de découvrir le réel pouvoir qu’il a, sur le mental, sur les visions, l’alignement, et aussi l’évacuation des énergies, comme une sorte de renouveau.

C’est un truc que je devrais faire plus souvent dans le monde ordinaire. Wish souffle souvent comme ça, sans raison apparente. Sans doute pour évacuer une pensée ou se recadrer.

Au final, ça n’a pas duré si longtemps que ça. Je suis descendue assez vite et en douceur. Il a dû se passer une heure avant que je prenne une autre coupe, et celle-ci non plus ne s’est pas éternisée dans mon organisme. Wish a joué du didgeridoo, les vibrations produites par cet instrument que j’adore étaient diaboliquement agréables à écouter, d’une force incroyable, qui faisait vibrer l’univers entier et les os dans mon corps. La musique est définitivement sublime durant une session.

Vers la fin, juste avant de redescendre pour de bon, j’ai eu la vision d’un aigle, dans le sens où je voyais comme un aigle. Je me tenais au-dessus des nuages, juste au-dessus, au sommet des montagnes. Ma vision était assez plate, effilée, mais très large, comme un panoramique. Et une impression de force et de noblesse, de dignité même, était induite par cette façon de voir, en survolant le monde, en se tenant tout là-haut dans le ciel. 

Carnet d’ayahuasca #6

Carnet d’ayahuasca #1

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés

 

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