Carnet de Route #12 : Un Mois

Première rencontre avec l’Amazonie, Villa Tunari

Le carnet de route d’Amérique latine de Zoë Hababou.

La première sensation, c’est la chaleur. Dans le bus déjà, la moiteur de l’air croissait à mesure qu’on quittait les montagnes pour s’enfoncer dans la jungle. J’ai adoré ça. J’adore quand on peut sentir le changement d’une façon physique, palpable. Et je peux vous dire que l’humidité te palpait de partout, jusqu’au slip, avec la sueur qui te dégouline entre la raie des fesses. J’ai d’ailleurs fini par céder et m’acheter une glace à la papaye foireuse (bien que ce soit fortement déconseillé par tous les guides de voyage) au mec qu’était monté à bord pour vendre ses trucs sa glacière à la main, et je me suis jetée dessus comme tous les passagers qui m’accompagnaient.

J’étais franchement scotchée. J’en revenais pas, merde, enfin j’étais dans la jungle ! Rien que le mot me faisait frémir. C’était à la hauteur de ce que j’avais imaginé. Une végétation de fou, des arbres immenses, des rivières, des cascades qui dévalaient les montagnes… J’étais en plein cœur d’un putain de rêve ! Je l’avais fait, nom d’un chien, j’étais là où je m’étais promis d’aller. Dans ma tête j’ai crié : Je vous encule tous ! (ouais je sais, c’est mesquin, mais j’ai toujours une petite pensée pour ceux que j’ai laissé derrière).

Quand je suis descendue du bus, j’étais toujours en nage, et en plus j’avais maintenant ce putain de sac de 18 kilos sur le dos, mais j’avais le diable dans le cul et je me suis lancée direct droit devant. J’avais lu dans mon guide que l’hôtel Las Vegas était dans mes prix. J’ai acheté un paquet de clopes à une tienda de bord de route et m’en suis allumé une, même si j’étais ratatinée de chaleur, déshydratée et écrasée par mon sac, rien à foutre, j’avais fantasmé dessus pendant les cinq heures du trajet, alors fuck off. J’ai demandé à des villageois qui traînaient là de m’indiquer l’hôtel. C’était pas compliqué, j’avais qu’à continuer le long de la grande route où le bus m’avait larguée, que je suivais depuis le début, il se trouvait juste avant le pont. 

J’avoue que quand j’y suis parvenue, j’ai eu comme un choc. Premièrement du fait que c’était pas vraiment un hôtel, mais des piaules accolées les unes aux autres en longueur dans un genre de jardin… Enfin quand je dis jardin, n’allez pas vous imaginer le petit truc coquet avec de l’herbe rase et des fleurs, mais plutôt un espace tout boueux, non fermé, accessible par quelques vieilles marches en pierre, avec du linge qui séchait de partout, des chiens hargneux, trois poulets rachitiques qui pataugeaient dans leur merde, bref, un bout de brousse dirty à mort, quoi. J’ai demandé au gamin qui se trouvait là si c’était bien l’hôtel Las Vegas, et il m’a fait : Ouais, c’est ici, Vegas (bon, pour ce qui est du clinquant, on repassera). Mais il m’a dit que c’était que pour les volontaires de la réserve (mon guide s’était gouré, mais ça tombait plutôt bien), que je devais d’abord y aller et m'inscrire avant d’avoir une piaule. OK. J’ai posé mon cul deux secondes histoire de soulager mes épaules et finir cette saloperie de clope, et je suis repartie. Au point où j’en étais, autant poursuivre sur ma lancée, de toute manière j’étais en transe et je me fichais de devoir marcher encore. 

Arrivée à Villa Tunari, première rencontre avec la jungle amazonienne, Bolivie.

Juste après Vegas, j’ai donc franchi ce pont immense, et la rivière était là, une rivière d’Amazonie, avec la jungle de chaque côté, les montagnes dévorées par les arbres au loin, et c’est à cet instant que j’ai vraiment réalisé ce qui m’arrivait. J’avais la bouche grande ouverte et dans ma tête tournait en boucle : Putain j’en reviens pas, putain de merde, ça alors, ça alors putain de bordel j’en reviens pas.

La beauté de la jungle bolivienne.

Et j’ai débarqué au refuge. Direct je me suis fait agrafer par un blond à l’air halluciné avec des cheveux bouclés à la Jim Morrison qui lui arrivaient aux épaules, un débardeur délavé à l’eau de javel, un short baggy et des bottes en caoutchouc, le regard bleu et pénétrant, le tout bien trash, comme d’ailleurs tous les gens que j’ai croisés par la suite. Chacun faisait son truc, portait des seaux de fruits, des branches, ou buvaient une bière sur la grande table en bois devant l’entrée du truc, tous plus sales les uns que les autres, et j’ai eu envie de faire partie de ça, moi aussi. Alors après la visite guidée faite par une volontaire (voilà les tejones, voilà les singes, voilà les oiseaux), j’ai été dans le bureau de la directrice et j’ai signé pour un mois sans réfléchir, comme je fais toujours quand je suis emballée par quelque chose. Je vais m'occuper des petits animaux pendant les deux premières semaines, et ensuite des singes pour les deux dernières.

Y a plus de place à Vegas pour le moment, alors la première nuit je la passe dans un autre hôtel bien plus classe (y en a trois en tout, selon les moyens de chacun. Moi je peux juste me payer le plus pourrave, évidemment). Y avait une sorte de fête et j'ai pu faire un peu connaissance avec les autres volontaires. Beaucoup d'Américains, quelques Français. On a picolé, et au retour je me suis paumée pour rentrer à ma piaule, et je me suis fait mordre à la cuisse par un chien qui défendait son territoire (à moitié bourrée dans la jungle, j’ai loupé l’embranchement pour rentrer et me suis retrouvée chez des locaux. Le chien a fait ni une ni deux).

Je viens de désinfecter comme j’ai pu. Ce salopard m’a vraiment rentré la dent dans la cuisse. Et maintenant je vais me pieuter. Demain je commence le taff direct et faudra que je déménage pour Vegas. La journée a été longue.

Carnet de Route #13

Carnet de Route #1

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