Le Coin des Desperados

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Carnet de Route #5 : Quinzième Jour

Survol des lignes de Nazca, momies de Chauchilla, oasis de Huacachina, Cerro Blanco

Ce Mexicain s’est finalement avéré être un gars très sympathique. Avec lui et la vieille, à trois sur le scooter, on a pas arrêté de bouger à droite à gauche dans la région, chose que j’aurais jamais pu faire seule, et encore moins en profitant de la vie comme ça. Un bus c’est cool, mais ça sera jamais pareil qu’un scoot ou une moto pour t’immerger vraiment dans le paysage. 

Impossible de relater ici toutes les merveilles qu’on a traversées. Cet endroit est magique, imprégné de mystère, comme si les anciennes civilisations qui ont vécu ici avaient laissé une partie de leur aura avant de disparaître.

Le premier jour, on a été voir un mec qu’avait découvert des pétroglyphes, à des heures de route de là, dans un village complètement paumé. On a marché longtemps avec ce type dans un dédale de cailloux jusqu’à trouver l’endroit où les pierres étaient gravées.

Le lendemain, le Mexicain m’a fait passer pour son assistante auprès de la compagnie qui gère les vols pour voir les fameuses lignes de Nazca. Du coup on est montés gratos dans le petit avion pour les survoler. Jamais j’aurais pu me payer un tel truc. A la base j’avais fait une croix dessus, bien que ce soit assez triste d’être dans le bled où elles se trouvent et de passer à côté. C’est un miracle, et j’étais survoltée en grimpant dans l’avion, ébaubie que le destin m’offre un trip pareil sur un plateau d’argent, sans que j’aie rien demandé. C’est fou comment les choses se goupillent toutes seules parfois. Qu’il suffise de se mettre entre les mains de ta destinée pour qu’elle t’offre de vivre des expériences dont t’osais même pas rêver.

De là-haut, c’est franchement impressionnant. Le désert entier est parcouru de lignes de toutes sortes, et ces dessins dont personne ne peut expliquer l’existence, ni ce qu’ils symbolisent vraiment, te mettent en contact avec un trésor sacré de l’humanité, quelque chose d’inviolable, qui te fait ressentir l’énigme fondamentale qui anime le monde.

L’après-midi on a été visiter le cimetière de Chauchilla. Y avait personne à part nous, et contrairement aux lieux touristiques français, c’est carrément sauvage comme endroit. Les momies sont restées là où elles ont été trouvées, en plein désert, dans leur trou. Moi qui suis fan des trucs comme ça, j’étais aux anges ! Avec le Mexicain on a bien rigolé à essayer d’imaginer la vie de ces squelettes, et la raison pour laquelle ils avaient été enterrés ensemble. Y avait un couple, un tas d’os momifiés complètement en vrac, comme si le type s’était fait rétamer la gueule par une charrette et qu’on l’avait emballé à l’arrache, tant bien que mal. Et même un bébé momie avec son petit crâne et ses petites dents. Gloups.

Ensuite on est partis pour deux jours voir l’oasis de Huacachina. Le Mexicain devait voir un type à Ica, un vieux campesino, pour lui parler de je ne sais quoi, et vu que l’oasis était juste à côté, on y a passé la nuit. D’une manière générale, accompagner ce mec m’a permis de voir la vie des locaux d’une autre manière, depuis l’intérieur. Boire des bières dans un bar miteux, tailler le bout de gras avec le tout-venant, entrer carrément chez les gens et voir la façon dont ils vivent (très modestement). Et puis, faire des trucs de pur touriste comme le sand board, c’est-à-dire dévaler les dunes désertiques en surf, chose qu’encore une fois j’aurais jamais pu m’offrir (mais vu que c’est le National Geographic qui payait c’est bon). 

En bref, la rencontre de cette homme-là (que j’ai pas eu besoin de baiser pour qu’il soit si cool avec moi, je précise) n’est sans doute pas fortuite, et grâce à lui j’ai découvert cette région d’une façon toute autre que ce que j’aurais pu connaître seule. Je sais pas précisément à qui je dois dire merci pour tout ça. Il m’est arrivé plus de trucs en quinze jours qu’en six mois de vie ordinaire. J’éprouve une reconnaissance démesurée envers l’univers, envers cette vie qui peut devenir si belle, si surprenante, dès lors qu’on fait l’effort de sortir de son quotidien pour s’offrir à l’Inconnu.

Les cimetières ici sont absolument magnifiques. Perdues en plein désert, caressées par la lumière rasante du soleil en train de disparaître, les tombes colorées m’émeuvent comme je l’ai jamais été en France dans nos trucs tout gris et impersonnels.

A la fin du dernier jour, quand je me suis retrouvée aux pieds du Cerro Blanco, cette immense dune blanche sacrée, alors que le jour commençait à baisser, la couleur étrange de la magie, reconnaissable entre toutes, a fait son apparition. Je me suis sentie happée. J’ai dit à la vieille : Cet endroit est magique. C’est tout ce que ma pauvre pratique de l’espagnol m’a permis de dire, et c’était aussi bien comme ça. Elle m’a répondu : Oui, beaucoup d’énergie circule ici.

J’avais vraiment le sentiment d’être en face de quelque chose de divin, d’imprenable. Jamais j’aurais pu absorber toute cette beauté. J’étais bouleversée, la gorge nouée. C’est ce qui arrive quand l’Homme fait face à un truc qui le dépasse, le submerge, en force, en intensité, en beauté. Quelque chose de sublime. J’aurais aimé pouvoir être seule avec ma sensation, mais le Mexicain et elle parlaient sans arrêt. La vieille était très triste, elle disait que des immeubles allaient être construits ici, sur cette terre sacrée, juste en face de la dune. Un truc pour touristes. Elle était au bord des larmes.

D’un geste impuissant et sans espoir, elle a déplacé ses pieds dans le sable pour effacer vaguement, aidée de son vieux bâton qu’elle trimballait partout, le tracé des lignes de repère pour la future construction.

Et puis on est repartis à trois sur le scooter, trois êtres réunis par un caprice du destin, sans savoir pourquoi. 

Carnet de Route #6

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© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés


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