Carnet de Route #2 : Troisième Jour
Lima m’emmerde
Au départ, l'étrangeté ou plutôt la nouveauté de ce pays m’a carrément sauté à la gueule. Quand le chauffeur de taxi (petit, brun, carré, affublé d’une vieille casquette de baseball enfoncée sur la tête) m’a réceptionnée à l’aéroport, j’étais dans tous les sens, à zieuter dans tous les coins, tellement c’était différent de tout ce que j’avais jamais connu, et même les trucs les plus banals et les plus trash semblaient nimbés d’une délicate poésie, tels ces graffitis bleus sur les murs proclamant certainement un quelconque message gaucho, ces garages colorés, cet air marin digne des embruns de San Francisco… Le côté urbex et dépravé du truc me séduisait d’une façon relativement malsaine, et j’en ai pris plein les sens tout le temps de la route à travers la ville jusqu’à l’hôtel.
Mais après deux jours à la capitale, j’en ai déjà marre du bitume, et surtout des gens. C’est triste à dire mais j’ai l’impression qu’ils sont tous pareils, où qu’on aille. Enfin, c’est sans doute un peu tôt pour balancer ça, et j’espère bien que la suite du programme décapera ce triste constat cynique. J’aimerais tant que la pureté puisse encore se trouver chez les Hommes… Si c’est le cas, ce sera sans doute chez les indigènes. Mais on en est pas encore là.
Où qu’on en est, présentement, c’est que les gens me cassent les couilles en essayant de me convaincre que je suis folle de vouloir m’aventurer seule sur la route et dormir sous la tente. Ils me mettent en garde : Ce monde n’est pas comme celui d’où tu viens…
Je commence à fatiguer de toujours rencontrer la peur partout où je mets les pieds alors que je me démène pour la fuir et que c’est même la raison pour laquelle je me suis cassée, merde à force.
Cette ville est pas mal dégueulasse, en plus, bien que je sois parfois émue par des trucs qui me toucheraient jamais chez moi : des mécanos en train de s’escrimer sur une caisse ayant peu de chance de rouler à nouveau un jour, un chien galeux, les montagnes entourant le centre urbain en mode favelas...
J’ai qu’une envie, une seule : filer tout droit dans le désert, suivre la panaméricaine, trouver cet endroit d’où émanent les vibrations qui m’ont tirée de mon sommeil en m’appelant jusqu’ici, en m’envoûtant avec leur chant hypnotique qu’ont fait de moi un somnambule, les mains tendues devant lui, qui marche au bord du précipice…
Cet appel ténu et pourtant insistant m’a fait faire un bond de dix mille kilomètres, alors navrée les mecs mais j’ai pas dans l’idée de renoncer à vivre le truc comme je sens qu’il doit être vécu. Je sais ce que je veux. J’oublie pas pourquoi je me suis barrée. Et si des sales trucs me guettent à l’horizon, au détour d’un chemin ou à la faveur d’une nuit sans lune…
Ma foi, je suis tout à fait disposée à l’accepter comme mon putain de destin.
Cette phrase de Noir désir résonne encore et encore dans ma tête… L’odeur des endroits où j’irai…
Vivement que je me tire loin de cette putain de ville.
© Zoë Hababou 2020 - Tous droits réservés