Pensées Percutantes #1 : Fin de cycle. Vaches maigres. Coup de Poker et Actes symboliques.

Marcher dans tes propres traces. Revenir dans un lieu porteur d’un sens personnel comme tu chevaucherais l’Ouroboros.

Éternel retour. Cycle infini de morts, de métamorphoses et de renaissances.

Honorer l’ancienne version de toi-même en déterrant les liens qui t’attachent à ta propre histoire, à la façon du récapitulatif de Castaneda. Puis défaire ces liens, briser tes chaines par des actes intimement symboliques et ainsi marquer la fin d’une étape. Conclure une phase de ton existence comme une âme s’expulserait de la roue du temps et du cycle des réincarnations.

Actes atemporels. Lieux métaphysiques. Niveau du jeu dans lequel la conscience pure prend enfin les commandes.

Sacrifier quelque chose sur l’autel de l’Idéal. Décider de nourrir une foi plus grande que toi.

Choisir d’alimenter une essence non physique qui emporte l’existence humaine vers le haut de la pyramide qu’on nomme aussi Transcendance.

Pensées percutantes de Zoë Hababou
 

FIN DE ROUTE

Y a des moments étranges dans la vie. Une sorte de stade ou d’état intermédiaire qu’on appelle la Croisée des Chemins. Quelque chose est sur le point de mourir, et autre chose s’apprête à naître. Plus rien ne peut continuer comme avant.

Comme pour la fin d’une histoire d’amour. Quand t’arrives au bout du truc, hanté par le pressentiment d’une mort. Comme l’écrivain sait au fond de lui qu’il vient de finir l’écriture de son livre. Qu’y a plus aucun mot à ajouter. Sonné, il contemple son manuscrit sans pouvoir encore pleinement réaliser. C’est au-delà de tout calcul. C’est une évidence.

C’est exactement ce qu'on ressent quand on parvient à la fin d’un cycle de vie.

Ça se décide pas de façon consciente. Le constat rapplique avant l’élaboration du projet. Soudain, le bout de la route que tu suivais est juste enfin atteint.

Celui qui respecte la magie sait qu’il faut toujours nourrir une part d’innocence. L’apogée n’est sublime que quand elle survient sans prévenir. Même si, fatalement, une partie de toi sait comment tout ça va finir. En définitive, c’est elle qui, depuis le commencement, te guide jusqu’à cet espace-temps où les pièces du puzzle cosmique ont terminé de s’imbriquer.

Avant d’en entamer un autre.

C’est la règle de fonctionnement des synchronicités. L'effet de surprise et la part de hasard qui s’immiscent dans ce chemin qu’on ne peut que qualifier de destin sont parties intégrantes du processus.

Alors tu traces ta route, flottant dans le brouillard, un pas après l’autre, de la même manière qu’un bon écrivain écrit une histoire, la découvrant au fur et à mesure. Le squelette qu’il inhume du sol se dévoile poco a poco. Des éléments à priori disparates s’accouplent. Des paroles mystérieuses prononcées au détour d’un dialogue, d’une pensée, rejaillissent pour donner sens à un nouvel élément de l’intrigue. Un personnage sorti de nulle part se révèle être une clé majeure en passant brutalement au premier plan du récit.

Un rêve fait dans le passé mute en pressentiment du futur. Et un jour, le rêve a fusionné avec la réalité, transformant la magie en quelque chose d’extrêmement concret…

Il s’agit de vivre sa vie comme si c’était une quête. D’établir la distinction entre avenir et destinée.

Tous les évènements s’interconnectent. Le présent et le futur, finalement, se comprennent à l’aune du passé.

C’est de là qu’elle vient, ma foi sauvage en la vie. De là, et de nulle part ailleurs.


FLOW ET COUP DE POKER

J’ai débarqué dans ce bled après le fiasco d’un ancien plan qui paraissait foutrement bon sur le papier, quelque temps en arrière. Un fiasco total, intégral, à un niveau personnel, amical, financier, et même professionnel au vu des débouchés qu’il était censé avoir concernant l’avenir. Le genre de fiasco qui foutrait à terre n’importe qui, le poussant à implorer le ciel en chialant POURQUOOOOI tout en se déchirant les vêtements. Enfin bon, dans la version la plus lamentable du truc. 

Mais quand t’as la chance d’être doté d’une forte intuition et surtout d’être foutu de lui faire confiance, bah, cette scène pathétique n’aura tout simplement pas lieu.

Un appel lointain a déclenché sa résonance, quand ça commençait à sentir mauvais. Quand ça s’est vraiment mis à puer du cul, l’appel s’est transformé en injonction. Et quand la lose totale a finalement révélé son vrai visage, l’injonction était devenue une évidence. Et donc, un sourire aux lèvres affiché comme le plus flamboyant des mépris.

Mais surtout, la plus fondamentale des règles de ce qu’on appelle l’acceptation. En somme, une très jolie planche de surf, bien affûtée, sur laquelle grimper crânement pour se jeter dans les vagues du Flow.

Visualise bien : TOUS tes projets sont tombés à l’eau. T’es tout seul, t’as pas une thune. Le dessein si “intelligemment” élaboré des mois futurs vient subitement de s’effacer. Et à part si tu veux faire de toi une victime de fatales circonstances et de la saloperie humaine en rentrant en France chialer chez ta mère, la seule option qui te reste, c’est de faire confiance à cette intuition qui chuchote timidement au fond de toi (enfin, soyons honnête, avec l’habitude, l’intuition chuchote de plus en plus fort, quand même).

Mais le problème avec la confiance, c’est qu’elle connait pas d’entre-deux. Comme dans les relations humaines, soit elle est inexistante, soit elle est totale.

Et donc, avec le peu de sous qui te restent, tu prends un billet pour l’endroit d’où l'appel est né comme on ferait tapis au poker : ça passe ou ça casse. L’une des façons de dealer avec la vie, c’est de jouer avec elle comme si t’avais rien à perdre. Et peut-être qu’un jour viendra où, à force de le prétendre, ce sera devenu réalité. 

Ça fait des années maintenant que je la joue comme ça et bordel, n’importe quel joueur de poker te dirait que j’ai une sacrée veine de cocu.

Sauf que ça n’a rien à voir avec la chance.

C’est un putain d’état d’esprit.


CHECKPOINT

Parfois je me dis que le meilleur moyen de réaliser qu’on est parvenu à la fin d’un cycle, c’est de disposer d’un checkpoint. Une sorte de nœud spatio-temporel qui te permet de faire le point en checkant dans le rétroviseur, vers l’arrière. En tant que voyageuse, ça m’arrive souvent de marcher dans mes anciennes traces. De croiser les fantômes de celles que j’ai été. Mes reflets et moi, on se regarde à travers le miroir comme le passé et le futur décideraient d’entre-croiser leurs lignes le temps d’une solennelle rencontre.

Des checkpoints, j’en ai pas mal qui jalonnent ma route. Et y a un pays en particulier qui remplit pour moi la fonction de point de référence absolu.

C’est le premier pays où, à 20 ans, j’ai foutu un pied hors de tout ce que je connaissais et dans lequel je ne cesse de revenir depuis, toujours la même mais chaque fois différente. Le fait d’avoir plusieurs paramètres assez forts au sein de ta personnalité, certaines disciplines bien précises dans lesquelles tu t’es engagé corps et âme constitue une précieuse mesure de ton avancement dans la Voie.

Par exemple, être écrivain et ayahuasquera.


LA VIE EST UN FURIEUX ÉTALON

Il me semble que pas mal de gens, par les temps qui courent, manœuvrent leur vie en y apposant leurs intentions. Moi, j’ai le sentiment qu’y a finalement pas grand-chose que je fais d’une façon délibérée. Disons qu’il y a les écrivains qui ne se lanceront jamais dans l’écriture d’une histoire sans plan défini, sans en connaitre à l’avance tous les tenants et aboutissants.

Et puis y a les autres. Ceux qui se laissent entièrement posséder par les muses de l’Inspiration.

Ça fait un bail que j’ai laissé cette autre partie de moi prendre les commandes. Et vu comment ça réussit à ma vie, je lui lâche de plus en plus la bride. Il n’y a qu’une chose que j’attise en continu : le feu sacré de la Volonté. J’ignore ce qui m’attend au détour du chemin. Ça m’intéresse pas de le savoir, parce que je ne compte aucunement m’y préparer.

C’est possible de vivre en n’ayant plus peur de rien. Et le résultat des courses dépasse toujours tes attentes de façon incommensurable. Alors, pourquoi faudrait-il arrêter de jouer avec l’existence comme un enfant ?

La Vie, elle adore ça qu’on joue avec elle. C’est là qu’elle donne le meilleur d’elle-même. C’est dans ces circonstances qu’elle révèle son génie, mobilise sa sagesse, et donc, développe son plein potentiel.

La Vie, elle aime la liberté encore plus fort que toi, et c’est bien dommage tous ces gens qui refusent de lui faire confiance en cherchant à tout contrôler. Comme si le cerveau control freak d’un zombie pouvait faire le poids face à la beauté féroce d’une essence que personne n’a jamais réussi à foutre en cage, ou ne serait-ce que museler.

Quand tu chevauches le plus furieux étalon que la Terre ait jamais porté, l’idée n’est pas de lui tirer sur le mors, perclus d’angoisse existentielle, pour le contraindre à ralentir.

L’idée, c’est de le laisser t’emporter aussi loin et aussi vite qu’il veut en ouvrant grand les yeux sans oublier de respirer.


ACTES SYMBOLIQUES

Et donc, en débarquant ici, j’ai réalisé que j’étais parvenue à la fin d’un cycle parce que ma présence en ces terres était le plus significatif des actes symboliques que ma jeune vie avait jamais posé.

J’ai fait tout ça sans préméditation. Acculée par un bon gros fiasco, j’ai juste répondu à l’appel qui rugissait dans mes entrailles en pariant mes derniers pesos sur une simple intuition. C’est en cheminant sur un sentier qui s’éloignait du village que je l’ai pleinement réalisé. Ou alors, peut-être quand je me suis retenue de pleurer dans le bus, juste avant qu’il me lâche à l’entrée du pont. Ce pont que j’ai franchi à pied. Tel un acte symbolique, une fois de plus.

Ce village, c’est celui où j’ai rencontré Wish, mon ancien maestro, avec qui j’ai bu de l'Ayahuasca pour la toute première fois. La première cérémonie de Travis dans Borderline, c’est ici qu’elle a lieu.

Ce village, c’est celui où je suis revenue dix ans plus tard, après avoir publié mon premier bouquin. Pour retrouver Wish, commencer ma véritable carrière d’ayahuasquera et m’engager dans les diètes de Plantes Maîtresses qui font maintenant entièrement partie de ma vie. C’est ici que j’ai rédigé une bonne partie du Tome 2 de Borderline, alors que je diétais l’Ayahuasca en la buvant trois fois par semaine. C’est aussi ici que Wish m’a fait mon parfum, celui que j’emporte avec moi partout, dans tous mes voyages, et que j’ai empoisonné avec le Tabac récemment. C’est drôle, mais le premier truc que j’ai fait en débarquant ici, c’est de cueillir des branches de cet eucalyptus local que Wish utilisait comme chacapa pour en mettre dans la bouteille de ce parfum. J’ai fait ça sans réfléchir.

Et maintenant, ce village, c’est celui où, 3 ans après la mort de Wish, 4 diètes de Plantes Maîtresses et 5 bouquins publiés plus tard, à 35 ans, je vais finir le dernier tome de Borderline. Ce qui marque, incontestablement, la fin du plus long cycle de ma vie, qui dure depuis plus de 20 ans. Et c’est ici que je vais faire ma première cérémonie d’Ayahuasca solitaire, avec celle que j’ai cuisinée toute seule. L’Ouroboros se mord la queue et repart pour un tour...

Revenir ici boucler ce cycle d’écrivain-ayahuasquera est juste le plus puissant acte symbolique accompli en aveugle que j’aurais réalisé jusque-là.


VACHES MAIGRES, ALCHIMIE ET LÉGENDE PERSONNELLE

Je me demande si le choix des vaches maigres n’est pas celui qui peut être le plus important, le plus déterminant pour un Artiste. Le sacrifice le plus significatif qu'il puisse faire pour son œuvre.

Selon l’étymologie, “sacrifice” veut dire “rendre sacré”.

Certaines personnes se sentent plus en sécurité en vivant un rêve en train de les bouffer toutes crûes plutôt qu’en essayant de dompter et de s’approprier un mensonge. Cette sorte de cauchemar consensuel qu’est devenue la vie humaine.

Quand ton rêve commence à vivre par lui-même, il est possible qu’il t’anéantisse. J’ai lu quelque part que les rêves sont des mythes individuels. Et que les mythes sont des rêves collectifs. C’est exactement de ça qu’il est question.

Quelqu’un qui refuse de rêver dans le même sens que les autres ne peut pas cautionner les mythes qu’ils produisent. Et sa seule alternative est d’engendrer ses propres mythes, devenir le héros de sa propre légende, en transformant sa vie en un rêve perpétuel, et son rêve, en œuvre d’art.

Et si ton œuvre est suffisamment puissante, tu finiras par te perdre en elle. Parce que tu penseras à la nourrir, elle, avant de te nourrir toi-même. Tu te nourriras d’elle de toute façon, autant qu’elle se nourrira de toi. Et peut-être que ta légende continuera d’exister, alors que toi tu seras déjà mort.

Le sacrifice est un des plus sûrs moyens de rejoindre ton île solitaire, où tu es le héros d’un mythe fabriqué par toi et pour toi, et que tu seras probablement jamais que le seul à connaître. Mais j’ai tendance à penser que les actes solitaires accomplis dans le secret d’une conscience sont les plus essentiels, les plus significatifs de la Voie.

Du fric, j’aurais pu en avoir au taquet si je m’étais résignée à faire serveuse encore “juste un dernier été” ou alors si j’avais consenti à sucer la queue de qui de droit disposant d’une certaine pression financière sur moi. Ce qui, en fin de compte, revient au même. Accepter de faire la pute d’un “système” dégueulasse pour en récolter quelques miettes rassurantes sur son compte bancaire et dans le grenier poussiéreux de son esprit.

Au lieu de ça, j’ai préféré prendre un billet pour le Chaos. Sauter à pieds joints dans le désastre, comme dirait Chuck Palahniuk.

En gros, j’ai décidé que F.U.C.K.

J’ai joué tapis sur mon art, foutant tous mes œufs dans le même panier, avançant mes derniers jetons d’un geste fier et nonchalant pour un ultime coup de bluff, tel un bon gros bras d’honneur balancé à la gueule de la supposée toute-puissance du sacro-saint Pognon. Campée fermement dans mes bottes face à l’Apocalypse annoncée par cette machine qui décrète que si tu ne travailles pas pour elle, alors tu travailles contre elle, et qu’elle te le fera payer tôt ou tard d’une manière ou d’une autre…

C’est comme pour la confiance dont je parlais plus haut. Tu ne peux pas croire juste à moitié en toi-même. Soit t’y crois, soit t’y crois pas. Et si t’y crois, alors tu dois aller aussi loin que tu peux (et donc veux) aller. Peu importe à quel point “l’insécurité” menace ton avenir. L’avenir n’existe pas. Le présent est tout ce qui est.

Et si tu es aligné dans le présent, alors, tout va bien, putain.

C’est un truc que j’ai découvert assez récemment. Tant que tu laisses une infime possibilité à ta conscience d’avoir peur, alors, la peur va s’infiltrer en toi et tes croyances te feront faire des choix dictés par celle-ci, et c’est toute ta réalité qui va s’en trouver déformée. En revanche, si tu te laisses aucune porte de sortie de secours vers la “sécurité”, alors, tout ce qui te reste comme option, c’est de te jeter de la falaise pour chuter dans la vie.

Ce qui signifie, donner vie à ton rêve.

Un Guerrier ne moyenne jamais avec lui-même. Il s’agit de la plus forte leçon que j’ai apprise jusqu’ici.

Tout ce qu’on te demande, au fond, c’est d’oser bouger une pièce. Avoir les couilles d’avancer juste un putain de pion. Et ensuite, tu laisses la vie faire le reste. On en revient toujours à cette idée de maîtrise et de lâcher-prise. Comme dans tout art. Comme dans toute discipline.

Celui qui est capable de mixer la maîtrise de son art au lâcher-prise instinctif de l’inspiration est juste l’enfoiré le plus heureux que cette fichue Terre ait jamais porté.

Certains d’entre nous se contentent de rêver d’écrire leur légende et de devenir leur propre héros.

Les autres pratiquent l’Alchimie.

© Zoë Hababou 2023 - Tous droits réservés


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