Ayahuasca : La Liane qui libère la Conscience
Divagations autour de Fight Club, Nietzsche et l’Ayahuasca
Quel lien peut-il exister entre un film des années 90, un philosophe allemand du XXe siècle et une potion amazonienne utilisée depuis des millénaires ?
Fight Club, Nietzsche et l’Ayahuasca ont changé ma vie, en devenant des piliers majeurs de ma philosophie. J’ai envie de vous révéler les surprenantes connexions qui existent entre ces trois éléments perturbateurs…
On termine cette trilogie d’articles avec l’Ayahuasca, l’un des plus puissants psychotropes existant au monde, capable de nous confronter au meilleur comme au pire.
La médecine de ce breuvage qui intrigue de plus en plus d’Occidentaux chaque jour pourrait bien être en train de changer le monde. Et pour cause : prendre de l’ayahuasca est l’expérience la plus révolutionnaire qu’un Homme puisse faire, un choc foudroyant qui remet en cause tout ce qu’il croit savoir de lui-même… et du monde.
C’est parti pour l’analyse des punchlines de Borderline.
Ou comment Travis Montiano enseigne la liberté aux témoins de son histoire à travers le récit psychoïde de ses expériences avec l’ayahuasca…
Cet article se présente en 3 parties :
Ayahuasca : La Liane qui libère la Conscience
L’Ayahuasca, Liane de la Folie… et de la Sagesse
ISOLEMENT
L’APPRENTISSAGE DEVAIT SE FAIRE DANS LA SOLITUDE, LOIN DES HOMMES, LOIN DE SON ENVIRONNEMENT DE BASE, ET AUSSI LOIN DE SOI-MÊME.
Les Occidentaux qui se tournent vers l’ayahuasca sont en quête de quelque chose.
Qu’il s’agisse de problèmes personnels à régler ou plus généralement d’une curiosité envers le monde du chamanisme et son potentiel d’exploration cosmique, on ne prend pas la décision de s’embarquer dans un tel trip en consommant une plante hautement psychoactive sans raison.
Certes, il existe un engouement récent pour l’ayahuasca, sorte de mode pour gens ouverts d’esprit ayant engendré l’explosion de “tours operator ayahuasca” qui n’ont rien de profond ni d’éthique, mais cet article n’est pas un essai sociologique sur le néo-chamanisme et ses dérives actuelles, donc je vais me concentrer sur la pratique sérieuse de cette médecine.
Le désir de prendre de l’ayahuasca naît d’une certaine insatisfaction. Envers soi-même, envers le monde, ou d’une manière plus poussée, envers les restrictions que la conscience ordinaire nous impose. Il arrive qu’on sente qu’il existe un monde au-delà de ce que nos sens et notre esprit peuvent percevoir, et qu’on ait très envie de le découvrir. Et il est bien connu que les substances psychoactives ou psychédéliques (LSD, champignons) constituent de parfaits chiffons pour nettoyer les fameuses portes de la perception (expression qu’on doit à William Blake).
Allez, je vous mets la citation entière, elle est magnifique :
Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est : infinie. Car l'homme s'est refermé sur lui-même jusqu'à considérer toute chose par les brèches étroites de sa caverne.
Donc à la base, il y a un désir d’évolution, ou de révolution.
Si beaucoup d’usagers peuvent sembler fous aux yeux des autres, de par la radicalité et la supposée dangerosité de l’expérience, à l’inverse, les consommateurs d’ayahuasca pensent souvent que ce sont ceux qui s’agrippent de toute force au monde classique, matérialiste et rationnel, qui n’ont rien compris.
On fait face à ce que Nietzsche et Fight Club ont révélé : Timbré versus Zombie. Quelle pilule voulez-vous avaler ?
Ici aussi, pas de retour en arrière possible. Et quand on fait les choses sérieusement, c’est isolé en pleine jungle qu’on consomme ce breuvage, une nuit sur deux. L’exclusion du monde est une fois encore nécessaire, comme dans toute pratique qui vise la connaissance.
C’est un truc que tout Homme devrait essayer au moins une fois dans sa vie. Arrêter de s’agiter dans le vide, se poser, et se regarder en face.
CHAOS
TU VAS DEVOIR TRAVERSER LE MONDE DES CHOSES SOUTERRAINES. TU VAS RENCONTRER CE QU’IL Y A DE PLUS NOIR EN TOI. TU VAS PARLER AVEC LES MONSTRES QUI HABITENT SOUS TA CONSCIENCE DEPUIS TOUJOURS (...) TU VAS DEVOIR FRANCHIR À GUÉ ET SANS AUCUN APPUI LE TORRENT DE TA SOUFFRANCE. ES-TU SUR ET CERTAIN DE POUVOIR TE CONFRONTER À CA, ET DE VRAIMENT LE VOULOIR ?
Il est vrai que toute cette démarche peut sembler celle d’un malade mental.
Quand on parle de dynamiter sa zone de confort, pour le coup, l’ayahuasca est une bombe puissance 1000 : isolement dans la jungle suffocante gavée de moustiques, diète alimentaire ultra stricte, cérémonie une nuit sur deux, vomissements, diarrhée, j’en passe et des meilleures, bref, celui qui choisit de suivre une diète est contraint d’être sérieux dans son approche, au clair dans sa tête, le curseur de la volonté tourné au max, et surtout d’être véritablement disposé à abandonner toute idée de confort.
Mais le pire n’est pas le renoncement au confort physique. On s’habitue vite à gerber des nuits entières.
Le pire, c’est la perte du confort psychologique.
La façon dont nos plus profondes certitudes en ce qui concerne absolument tout vont être malmenées et mises à très rude épreuve. Tous les concepts rassurants qu’on en était venus à considérer comme des évidences impossibles à remettre en question seront déracinées et disséquées, étudiées sous le microscope omniscient de l’esprit de la plante. Je ne sais pas s’il existe au monde quelque chose qui soit davantage générateur de chaos intérieur. Il n’y a qu’un pas pour parler d’autodestruction.
Oui, une destruction, un désassemblage, un écartèlement volontaire, une éventration sauvage de tout ce qu’on croit savoir sur soi-même et le monde, un piétinement incessant de nos croyances et certitudes, et aussi, un renoncement.
Si les mots de Chuck Palahniuk, renaître grâce au chaos, n’ont jamais eu de sens, alors c’est indéniablement l’ayahuasca qui sait le mieux le mettre en application.
DÉMONS ET ABIMES
QU’ILS SE LÈVENT, TOUS CES DÉMONS ! QU’ILS SE PRÉSENTENT À LA CHAÎNE DEVANT MOI ! JE VOULAIS LES REGARDER EN FACE. JE VOULAIS PLUS FUIR DES OMBRES SANS VISAGE.
Lorsque Palahniuk dit que nous sommes notre pire ennemi, lorsque Nietzsche évoque le fait de plonger ses racines dans l’abîme et de prendre garde à ne pas devenir monstre, lorsque Marla Singer et Tyler Durden choisissent de vivre avec la mort comme chaperon, on est en plein dans l’expérience de cet étrange breuvage…
En catalysant et en personnifiant ce que les Hommes portent à l’intérieur (pensées, peurs, émotions, questionnements) sous forme de visions intelligentes et d’intuitions sensorielles, l’ayahuasca plastique tout refoulement, fait éclore leurs craintes les plus enfouies, les immerge dans un enfer cathartique en expugnant jusqu’à la lie ces parties de leur être qu’ils redoutent de regarder en face et qui leur sont donc parfaitement étrangères…
Voilà ce qu’il advenait d’une partie de soi qu’on refoule, d’une émotion légitime qu’on refuse d’écouter. Elle se transforme en monstre. Quelque chose de méconnaissable, qu’on ne songe qu’à fuir, qu’on est même plus capable de reconnaître comme nous appartenant.
Mais il se trouve que tout ce processus de maturation et d’éclosion des graines (de démence ou de sagesse) planquées dans l’inconscient est hautement thérapeutique.
Telle une psychothérapie en accéléré où on est à la fois le patient, le psy et les médocs, guidé par le chaman qui grâce à ses icaros nous permet de traverser la tempête de notre âme, après une session, peu importe la difficulté du voyage, on se sent comme un nouveau-né, réconcilié avec soi-même, nettoyé de la négativité, libéré du poids des choses qui se trament en nous à notre insu, et surtout, apte à voir le monde d’un autre œil, bien loin des valeurs conventionnelles qu’ont nous a appris à respecter.
Cesser de fuir des monstres qu’on avait engendrés soi-même, et qui se désintégraient très vite à partir du moment où on ne croyait plus en eux. Arrêter une seconde de courir, complètement paniqué, et prendre le temps de les examiner, de comprendre de quoi ils étaient constitués, et quel était le message qu’ils portaient en eux. Tout ça revenait à s’examiner soi-même.
LUMIÈRE
LE SENS PROFOND DE CETTE CÉRÉMONIE M’EST APPARU DANS TOUTE SA FORCE. PEUT-ÊTRE À CAUSE DE LA DIÈTE, LE MESSAGE DE LA PLANTE ÉTAIT CE MATIN-LÀ POUR MOI D’UNE LIMPIDITÉ, D’UNE CLARTÉ FABULEUSE. IL ME SEMBLAIT RÉELLEMENT COMPRENDRE CE QUE J’AVAIS TRAVERSÉ, ET POURQUOI. ELLE AVAIT FAIT REMONTER JUSQU'À LA PLEINE CONSCIENCE LES OMBRES QUI PEUPLAIENT MES SOUTERRAINS ET SE CACHAIENT DANS LES LABYRINTHES DE MA PERSONNALITÉ. LEURS MANŒUVRES ME DEVENANT CLAIREMENT IDENTIFIABLES, ELLES NE POUVAIENT PLUS DÈS LORS AVOIR LE MÊME IMPACT SUR MOI. QUAND LA MARIONNETTE LÈVE LES YEUX ET APERÇOIT CELUI QUI LUI TIRE LES FICELLES, ELLE NE PEUT PLUS SE CONTENTER DE S’AGITER EN SE PERSUADANT QUE LES MOUVEMENTS QU’ELLE EXÉCUTE NAISSENT DE SA VOLONTÉ. LE MARIONNETTISTE PERD SON EMPRISE, L'ÉTREINTE SE RELÂCHE, LES FILS SE DISTENDENT. LES CHOSES NE PEUVENT PLUS TOUT SIMPLEMENT CONTINUER COMME AVANT.
Vous vous souvenez de cette idée qui dit que c’est jusqu’au bout du désastre qu’il faut aller pour avoir une chance d’être touché par la lumière ? Et celle de devoir se réduire en cendres, d’accepter de porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile et renaître à la vie ?
Oui, définitivement, il semble qu’il faille avoir tout perdu pour être libre.
Abandonner l’idée qu’on se fait de soi-même et du monde.
Renoncer au contrôle, à cette espèce de maniaquerie de la perfection qui nous incite à tout planquer sous le tapis et à empiler les cadavres dans le placard en priant pour qu’ils ne se réveillent jamais.
C’est tout l’inverse qu’il faut faire. Cet extrait de Borderline est assez parlant :
L’ayahuasca m’avait plongé dans la mort que je désirais tant pour que je réalise ce qu’elle signifiait vraiment, et quelle odieuse partie de moi en retirerait le profit. Elle avait dévoilé les énergies négatives qui me hantaient et me poussaient vers l’abîme, afin de m’apprendre qu’une parcelle de moi désirait encore vivre. Elle avait libéré la colère emprisonnée dans mon subconscient pour que je la regarde en face, l’accepte enfin et l’incorpore, et cesse de me faire tirer les ficelles par des monstres que j’avais créés mais dont j’ignorais le visage. Elle avait réhabilité la rage qui m’habitait, en me forçant à écouter le message qu’elle véhiculait de par son existence. Puis elle m’avait enseveli vivant dans les visions magnifiquement gluantes qui peuplaient mes rêves, jusqu’à ce que je m’en étouffe. Pour enfin rendre à ma chair cette souffrance sans fond et légitime que je m’étais jusque-là interdit d’éprouver.
C’est comme ça que l’ayahuasca te guérit, et qu’elle parvient à te réconcilier avec des choses difficiles, voire inacceptables en temps normal. Quand tu l’as dans ton corps, la fuite n’est pas une option.
Certains luttent. Ils luttent une nuit entière parce que la peur est plus forte, que les révélations sont trop douloureuses.
Mais pour avoir été témoin de ce genre de comportement, et comme c’est d’ailleurs le cas aussi avec les autres psychédéliques, c’est une putain de mauvaise idée. Vraiment. Accepter de perdre le contrôle et observer sans jugement et sans complaisance ce que la plante te montre, peu importe la souffrance que ça engendre, est au final toujours un immense bénéfice. Ainsi qu’une certaine fierté.
Et le stade ultérieur, c’est l’entrée en contact avec…
LE MAÎTRE INTÉRIEUR
TU AS FAIT LE CHOIX D’ALLER PLUS LOIN DANS LA PRATIQUE, CE QUI FAIT DE TOI QUELQU’UN QUE L’AYAHUASCA VA RECONNAÎTRE COMME UN INITIÉ. LES PLANTES QUE TU VAS DIÉTER VONT ALLER CREUSER TRÈS PROFONDÉMENT EN TOI, ET FAIRE ÉMERGER DES CHOSES QUE TU PRÉFÉRERAIS CERTAINEMENT IGNORER. L’AYAHUASCA VA TE LES EXPLIQUER, MAIS PERSONNE NE SAIT SI TU VAS POUVOIR COMPRENDRE, ET SI TU NE VAS PAS FUIR EN COURANT. TU AS PRIS TA DÉCISION EN TOUTE CONSCIENCE, TU NE DOIS JAMAIS L’OUBLIER. TU DEVRAS T’EN SOUVENIR QUAND TU FERAS FACE À TOI-MÊME, ET SURTOUT NE JAMAIS TE CACHER DERRIÈRE UNE FAUSSE IGNORANCE. TOUT CE QUI VA SE PASSER, C’EST TOI QUI L’AURAS VOULU ET ACCEPTÉ.
En annihilant l’ego, l’ayahuasca nous connecte avec une partie plus élevée de notre être, infiniment plus sage que tout ce qu’on pourrait rencontrer dans la conscience ordinaire.
Contrairement à ce qui se passe avec beaucoup de spiritualités New Age, le chaman n’est pas un gourou qui te bassine de dogmes en essayant de te faire ingurgiter un charabia plus ou moins religieux. La plante n’est pas un maître qui va étouffer ton esprit avec un tas de nouveaux concepts.
L’ayahuasca est la mort de tout concept.
Quand on parle des différents niveaux de conscience, il est souvent difficile de savoir à quoi on se rapporte précisément (ce livre de Laurent Huguelit est selon moi le plus clair sur le sujet).
Pour éviter de m’éparpiller, je me contenterais de dire que l’expérience transcende nos pauvres mots et nos tristes définitions qui étiquettent la vie psychique et le monde matériel au travers de notions qui ne sont qu’un prisme déformant. Pour le coup, ce n’est la faute de personne. Le langage est réducteur, et nous pensons avec des mots. A la limite, seuls les rêves, qui sont déjà un phénomène de conscience modifiée, peuvent exprimer plus que nos vulgaires concepts en s’exprimant via un langage spécifique.
Mais l’ayahuasca, en faisant exploser ton conditionnement mental, t’offre l’ouverture nécessaire à une compréhension à la fois émotionnelle, intuitive et instantanée des choses telles que l’Amour, la Conscience Universelle, ou l’Infini.
Et en faisant ça, elle te met en contact avec une partie de toi que tu n’es pas habitué à connaître, à comprendre et à utiliser pour regarder le monde : une sorte de maître intérieur, un soi plus grand, éternel, qui sait déjà tout pour peu que tu penses et oses lui poser les bonnes questions.
Voilà le véritable pouvoir de cette plante. Elle révèle le tien.
Pas de dogmatisme, pas de bourrage de crâne. Juste une entrée en contact avec cette partie de toi aussi vieille que le monde qui possède suffisamment de sagesse pour t’autoriser à mener ta vie avec ton cœur comme unique boussole... Et devenir, comme disait Nietzsche, créateur de ta propre existence.
Tout ce qui importe, c’est que tu agisses avec conscience. Peu importe ce que tu fais, si c’est vraiment toi qui le fais.
CONSCIENCE ET LIBERTÉ
ÊTRE SOIGNÉ, C’EST ÊTRE ENFIN LIBRE.
Il est évident qu’après une telle expérience, on n’est plus le même face à la vie.
Une fois nettoyé de ce qui nous oppresse, en paix avec ses peurs et ses démons, réaliste sur son passé et apte à saisir la beauté du présent, l’avenir n’a fatalement plus la même gueule.
De plus, la volonté chère à Nietzsche a été éprouvée maintes et maintes fois au cours des différentes sessions, tout d’abord en vertu de cette intention qu’on émet avant de boire (sorte de requête qu’on fait à la plante, mais surtout à soi-même, en définitive), et ensuite parce qu’elle a dû faire ses preuves dans la confrontation avec ce qui a émergé. Un vrai face à face avec soi-même, donc, qui ne cesse de réaffirmer cette décision puissante de rester ferme, tanké au sein de la tourmente, pour aller au bout de ses questionnements.
Une telle implication de la volonté renforce toute notre position face à l’existence. On devient acteur, et non plus spectateur. Guerrier plutôt que victime. Créateur plutôt que marionnette.
Une voie royale pour identifier son moteur, ses rêves, accepter ses erreurs, ses errements et ses faiblesses, et enfin trouver sa véritable raison de vivre, sans plus subir l’influence de la société ou de ses propres peurs.
Parce que la véritable liberté, c’est celle qu’on doit acquérir sur son propre esprit. Une lutte intestine, incessante, contre cet effroyable ego polymorphe qui revient constamment à la charge.
Il s’agit d’atteindre un lieu où on n’a jamais été. Épouser une vision de la vie qui nous était jusque-là étrangère, et par là-même, déraciner joyeusement les limitations qu’on s’imposait à soi-même. Une renaissance donc.
J’étais ni un prisonnier, ni une victime, ni un pantin entre les mains d’un destin tragique. Persister à me voir de cette façon revenait à renier cette liberté dont je faisais tant cas, et que je prétendais désirer du plus profond de mon âme. J’avais pris une décision. Elle impliquait un gros travail. Des renoncements très douloureux. Mais cette décision était la mienne. C’était tout ce que j’avais. Et sans doute plus que ce que j’avais jamais eu.
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