Carnet de Route #13 : Un Mois et Dix Jours
S’occuper d’animaux sauvages, Réserve Inti Wara Yassi
Plus le temps d’écrire, des journées de dingue ! Je me lève à 6h et je me prépare vite fait (c’est-à-dire que je remets mes fringues raides de crasse de la veille et mes bottes en caoutchouc merdeuses) puis je traverse le pont pour me rendre à la réserve où je prends le petit dej avec les autres volontaires. Ensuite je vais m’occuper des tejones (coatis, en français) avec ceux qui taffent avec moi. Y a tout un système de mis en place pour essayer qu’elles kiffent un peu leur life, ces pauvres bêtes.
La plupart des animaux qui sont ici ont subi des mauvais traitements (différentes espèces de singes, petits mammifères, oiseaux, tortues, et même un ours et un jaguar). C’est toujours pareil : les gens les trouvent mignons quand ils sont petits, et puis un jour le tejone ou le singe niaque le gosse de la famille et on s’en débarrasse, ou alors ils sont retirés de force à des gens qui les maltraitaient. Le problème, c’est qu’ensuite ils sont complètement inadaptés à la nature, et bien peu d’entre eux auront un jour la chance d’y retourner…
C’est le cas des tejones. Aucun d'entre eux ne sauraient survivre seul, alors ils sont condamnés à vivre dans des cages, et on les sort la journée en les attachant à un réseau de cordes avec une laisse munie d’un mousqueton pour qu’ils puissent bouger un peu dans la jungle, m’enfin, peuvent pas aller bien loin, puis beaucoup ne s’entendent pas entre eux, alors faut gérer pour qu’ils se fritent pas. Parfois ils s’entortillent dans leur laisse et l’autre jour j’ai dû en sauver un en train de s’étrangler en bataillant pour le détacher sans me faire mordre. Heureusement que j’ai un bon feeling avec eux, et que je suis très rapide dans mes gestes, parce que personne voulait se dévouer.
Mais je vais trop vite. Petite récap des dix jours qui viennent de passer.
Le lendemain de mon arrivée, j’ai dû me foutre en culotte devant le véto du centre pour qu’il me désinfecte la cuisse (le chien m’a mordu assez haut, presque sous la fesse, et maintenant j’ai une belle cicatrice). Dans l’absolu, il aurait fallu que je me fasse vacciner contre la rage, mais personne ne pouvait me le faire ici, et c’était hors de question que je retourne à Cochabamba pour aller me faire chier à l’hôpital. Donc j’ai décidé que fuck. J’ai été me chercher des fringues de seconde main et des bottes en caoutchouc dans la remise de la réserve et ensuite les autres volontaires assignés au même poste que moi m’ont expliqué la marche à suivre avec les animaux dont on a la charge : les tejones, les tyras (sorte de petits félins), les tortues. Chaque espèce a un régime spécial et il faut préparer les gamelles de fruits avec chaque portion dans une salle dédiée où s’amoncellent des tonnes de bananes, papayes, oranges, mangues, ananas, pommes et j’en passe… Après le repas des animaux, il faut les sortir et les attacher dehors pour nettoyer leur cage, ce qui est loin d'être évident, vu que tout est en bois bouffé par l’humidité et en fer dévoré par la rouille. Certains tejones sont si agressifs qu’on ne peut pas les sortir, et les tyras s’enfuiraient illico si on le faisait, alors faut essayer de nettoyer leur merde sans se faire mordre. Pas évident. Les bébés tejones donnent aussi du fil à retordre, ils sont si vifs qu’il faut s’appeler Flash Gordon pour arriver à foutre leur gamelle dans leur grande cage sans qu’ils s'échappent comme des petits enculés ou se jettent sur nous pour nous bouffer.
Mine de rien, c’est du taff tout ça, et on a pas un poil de sec. On fait une pause d’une heure le midi pour bouffer sur la grande table et on y retourne jusqu’à 18h30. Ensuite retour à Vegas et c’est la queue pour la douche (un vieux boxe en ciment avec un filet d’eau qui vient d’un tuyau relié directement à la rivière qui gronde plus bas), on essaye de rincer un peu ses fringues pleine de sueur et de boue et on les accroche sur les fils qui courent le long des moustiquaires devant chaque piaule, mais inutile de prétendre que tout ce putain de truc ne sent pas le vieux fromage et cette odeur très particulière qui émane de la sueur rance et des fringues qui ne sèchent jamais, parce que le climat est trop humide. Mais on s’habitue vite au fait de puer sa race toute la journée, surtout quand tout le monde sent pareil.
A Vegas, je partage ma piaule (une simple pièce minuscule avec un lit une place de chaque côté) avec un Anglais qui vit en Malaisie, un mec de quarante ans. Je l’avais repéré le premier matin, en me faisant la réflexion qu’il avait une gueule de fou, et quand plus tard la directrice m’a donné le nom du mec avec qui je devais partager la chambre, j’ai su que ça devait être lui. En rentrant le soir après avoir récupéré mes affaires dans l’hôtel d’avant je l’ai croisé sur le pont et je lui ai fait : C’est toi, l’Anglais. Banco. Et au final, ça m’étonne pas de moi d’être tombé sur lui. En fait, c’est un type génial. Un artiste, évidemment. Il compose des B.O. de films, et il est trompettiste aussi. C’est carrément cool de causer avec lui le soir face à une bière après une journée de taff épuisante.
Franchement, je me plais bien ici.
© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés