Le Coin des Desperados

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El Diario Latino #5

Villa de Leyva, Colombie : Jour 77

Métamorphose

Me voilà dans une nouvelle phase du voyage. Le constat est flagrant. La tempête que je sentais monter n’était peut-être rien d’autre que ça. J’imagine que la vie d’un écrivain-voyageur est ponctuée de périodes où le voyage prend le pas sur l’écriture, et inversement.

C’est arrivé dans le désert de la Guajira, quand j’ai réalisé que ce que j’étais en train de vivre ne pourrait pas et ne devait pas être rapporté ici d’une manière qui transformerait une expérience hors du commun en un récit tristement terre à terre. C’est là que ça s’est réveillé. Et puis, la décision de louer cette maison dans ce village paumé y était aussi certainement pour quelque chose, d’autant plus que je m’y préparais, puisque je l’avais trouvée avant même de me rendre dans le désert. Tout en moi me criait : Écriture, écriture, écriture !

La nouvelle vague sur laquelle je surfe à présent est celle d’une inspiration immense. Quelque chose s’est débloqué. Il s’agit plus seulement d’utiliser ce que je vis en l’incorporant plus tard à mes écrits. Désormais, au moment même du vécu, je le ressens déjà comme faisant partie de mon œuvre. Y a plus de transition, d’ajustements, de médiation. Tout m’apparaît d’emblée d’une manière littéraire, les idées jaillissent sous leur forme définitive.

Ça peut sembler malsain, comme une sorte de dédoublement qui m’empêcherait d’être dans le présent. Mais peut-être que c’est le vrai mode de fonctionnement de l’artiste. Quand son vécu et ses visions lui apparaissent direct comme… de l’art.

Plusieurs fois je me suis demandé si tout ça n’était pas qu’un monstrueux fantasme narcissique, une mise en scène de soi-même bouffie d’orgueil et entachée d’ego. Mais je peux pas nier mon ressenti, ni foutre du plomb dans l’aile de ce rêve en train de s’accomplir. J’ai jamais vraiment chercher à comprendre cette phrase qui dit que l’art imite la vie, et la vie l’art, mais bordel, je crois que je suis en plein dedans.

Et en fait, c’est pas la première fois que ça m’arrive. Je me souviens qu’il y a très longtemps, Borderline s’écrivait constamment dans ma tête, au point que parfois ce soit Travis qui passe au premier plan, dans mes actes, dans mes paroles.

Le vécu avait déjà transmuté en art, tout au fond de mon cerveau.

Transformer son voyage en histoire

J’ai quitté Minca, résolue à m’approcher du désert le plus vite possible. Y avait plein de trucs cool entre deux, que j’aurais pu m’arrêter pour voir, mais la crainte de replonger dans le tourbillon de vacanciers m’a incitée à tracer la route. La mer des caraïbes est superbe, c’est pas le problème, mais je commençais à fantasmer sur les petits villages montagnards que je savais devoir trouver plus loin, et l’appel de ce fichu désert rugissait si fort qu’il m’était impossible de le faire patienter quelques jours de plus.

J’ai aucune intention d’expliquer ce qui s’est passé dans la Guajira, et je subodore que ça risque d’arriver de plus en plus fréquemment à travers ce journal. Je sais pas ce que les lecteurs de ce type de carnet sont en droit d’attendre, et pour tout dire, je m’en contrefous. Je sais pas non plus si ce que je m’apprête à faire a déjà été fait, avec plus ou moins de succès.

A partir de maintenant, certains événements de ce voyage ne seront plus rapportés comme un catalogue de faits, mais directement sous la forme qu’ils ont inspirée. Pour le désert, ce sera donc La Passagère, et ceux qui souhaiteraient quelques éclaircissements devront se contenter de sa genèse. Lors de la publication de ce journal, la nouvelle sera incorporée entièrement et il en sera de même si d’autres voient le jour.

N’est-ce pas la meilleure manière de comprendre comment travaille un écrivain ? De passer directement du vécu à la littérature ? Ça m’étonnerait que je sois la première à le tenter…

Ça m’a fait bizarre de retrouver la ville après ça. Passer d’une réalité à l’autre laisse parfois un goût étrange, bien que ce soit le but de tout voyage. La flexibilité mentale et corporelle exigée par la vie nomade est une vraie gymnastique, et une fois qu’on a chopé le coup c’est plutôt facile de s’adapter. Même si parfois l’écart est vraiment énorme.

C’est aussi de cette manière qu’on parvient à identifier le soi véritable. Qu’est-ce qui reste au cœur d’une personne ? Quel est l’élément qui ne change jamais ? Que peut-elle désigner comme “je” envers et contre tout ?

Il me restait quelque chose auquel je pouvais me connecter, et sur le toit de l’hôtel, au coucher du soleil, je l’ai fait. Ce geste, cette posture. Cette chose gravée en moi, à laquelle je pourrai désormais toujours me relier pour faire revivre ce que j’ai connu.

Sur les traces d’un autre écrivain

J’ai débarqué à Valledupar bien trop tôt à mon goût. C’est pas que cette ville soit repoussante mais il faisait une chaleur à crever et le côté non touristique de ce bled faisait que tout le monde me dévisageait et que les mecs étaient tous derrière mon cul. C’est d’ailleurs ce même aspect qui m’a contrainte à payer une pauvre bière en cannette 8000 pesos, plus du double du prix habituel. J’ai fait au barman : T’es sérieux, mec ? Et moi qui suis d’une nature très polie, j’ai balancé le fric sur le comptoir sans même attendre sa réponse et sans même me retourner. Parfois ça fout la rage d’être traitée comme une touriste.

J’étais bien contente de me barrer le lendemain, d’autant plus que je me rendais à Mompox, bled auquel je rêvais depuis un moment. C’est celui qu’a inspiré Gabriel García Marquez pour Cent ans de solitude, bien qu’il ne l’ait jamais présenté ainsi. La chaleur était toujours complètement maboule, mais les abords du fleuve et le charme infini du village la rendait largement supportable. C’est marrant, Mompox a l’air du truc colonial de base, avec ses édifices désuets et colorés, mais les rues poussiéreuses et les rives du Rio Magdalena qui s’animent de chants d’oiseaux exotiques et d’iguanes qui grimpent aux branches lui offrent une identité très personnelle, que j’avais jamais rencontrée ailleurs. Et son cimetière…

Les deux jours que j’ai passés là-bas, j’ai marché et marché encore dans les rues, à toute heure du jour et de la nuit. Il y a parfois des atmosphères dont on éprouve le besoin de s’imprégner encore et encore…

Mais ma maison m’attendait et une longue journée de transport pour m’y rendre aussi.

Flics, capotes et retraite de romancier

J’ai quitté Mompox à 7h du matin, dans un bus vide et très confortable. Les champs d’un vert électrique où paissaient des vaches à l’air indien étaient parfois traversés par le fleuve, si bien que toute cette région donnait l’impression d’un berceau fertile où la vie trouvait à s’épanouir dans toutes les directions.

L’endroit où j’allais était pas mal reculé, j’ai dû changer de bus plusieurs fois. Le premier m’a lâchée au milieu de nulle part où des taxis collectifs attendaient. C’est assez fréquent dans les petits villages. De simples voitures qui attendent d’être pleines avant de décoller. Je me suis glissée au milieu de quatre bonhommes qui semblaient surpris qu’une gringa débarque dans leur monde. Ils étaient pas spécialement hostiles, mais pas vraiment chaleureux non plus.

J’ai appris à me fermer à ce genre de truc. Je suis de toute manière pas très causante moi-même, et à la différence de beaucoup de touristes qui sont enchantés dès qu’ils ont le sentiment d’avoir un “vrai contact avec des locaux”, moi ça me fatigue quand on me parle et je déteste avoir à répéter ma leçon en racontant les étapes de mon voyage au premier qui se pointe. Peut-être bien que je me coupe “d’expériences authentiques” en ayant cette attitude, mais au fond ça fait longtemps que j’ai complètement démonté le mythe du gentil sauvage, et vous m’excuserez mais cette recherche frénétique de contact local n’est selon moi ni plus ni moins que ce principe déguisé.

Chacun sa vie, et je me figure pas d’être en train de réaliser quelque chose d’exceptionnel pour avoir à le raconter au premier venu. Je prends un taxi, c’est tout. Je fais la route. Toi tu vas traire ta vache ? Cool, à la bonne heure !

Mais quand on est étranger et qu’on tombe sur un barrage de flics, bah on est comme qui dirait en ligne de mire. Le keuf nous a fait signe pour qu’on s’arrête et en me repérant il s’est immédiatement attaqué à mon sac dans le coffre. J’ai patienté deux minutes, mais connaissant la manie des flics de foutre le bordel dans tes affaires sans rien ranger derrière, j’ai fait à l’un des types qui me coinçait sur le siège du milieu : Je voudrais sortir. La situation avait l’air de le faire rire, j’ai pas du tout aimé le regard qu’il me faisait, alors j’ai insisté : Tu me laisses sortir, s’te plaît ? Merci. Il s’est écarté et je me suis radinée près du flic pour l’aider à fouiller l’entièreté de mon sac correctement. Il a pas omis une seule poche, l’enculé. La moindre zone de ma trousse de toilette y a eu droit, et j’étais bien contente quand il est tombé sur les rubans de capotes et les a tenus comme un débile devant sa gueule. Son condónes, j’ai fait en levant un sourcil narquois, comme s’il était trop jeune pour savoir à quoi ça servait. Il les a vite rangés et la fouille était finie. Tête de con, va.

Après ça, fallait encore que je me tape un autre bus, et le taxi collectif m’avait laissée un peu n’importe où. J’ai dû prendre un autre taxi pour aller au lieu d’où partaient les colectivos.

Je savais pas vraiment à quoi m’attendre en montant dans le dernier transport. Est-ce que le village que j’avais élu pour y résider une semaine me conviendrait vraiment ?

Au bout d’un quart d’heure de route, j’ai compris que j’étais encore sur un chemin tracé d’avance. On fonçait dans les montagnes rocheuses dont la terre était rouge cuivre, et la pierre montait en formations qui rappelaient celles du désert de l’Ouest américain.

J’avais atteint un nouveau nœud sacré dans l’espace-temps.

La Playa de Belén est un tout petit village. La maison se trouvait au bout d’une rue, au pied des roches, face à un champ de bananiers. Hormis la voisine très discrète, y avait personne.

Et la maison… Bordel, et ça, pour moi toute seule !

Évanouissement des frontières : Quand la vie imite l’art (et inversement)

Une partie de ce qui était né en moi quelques jours plus tôt dans le désert avait déjà fini de germer.

Dès le lendemain de mon arrivée, j’ai prévenu la propriétaire de la maison que je voulais rester deux semaines entières au lieu d’une. Quand un écrivain-voyageur tombe sur un endroit où son inspiration est à son point culminant, qu’il sent que le combustible dont il a farci son moteur durant les deux mois précédents gronde dans les entrailles de son engin pour être utilisé, il faudrait être fou, ou extrêmement stupide ou flemmard pour ne pas tout mettre sur pause et passer ses journées entières à écrire.

C’est ce que j’ai fait. La totalité de l’air que j’inspirais était imprégné d’écriture, les mots me poursuivaient lors de mes quelques sorties au village, j’étais dévorée par l’impatience de retrouver la maison pour les jeter sur l’ordi et me libérer d’eux.

Un autre événement a coïncidé avec la naissance du projet dans lequel je me suis lancée durant ces semaines-là. La nouvelle que j’avais soumise à un appel à texte avait été refusée (il s'agit de Un jour toi aussi…), et je l’avais donc publiée ici.

J’ai réalisé que d’autres nouvelles ne demandaient qu’à exploser.

Cette histoire de désert se devait d’être creusée, à travers différents regards, différentes histoires, les personnages étaient en train d’émerger les uns après les autres, chacun avec son propre chant, sa propre folie, la route de perdition singulière qu’il suivait.

Moi qu’avais jamais écrit de nouvelles, j’ai été effroyablement prolifique ! C’est fou comme l’écriture peut parfois devenir un effort surhumain quand les idées ne sont pas mûres, et à quel point elle peut être aussi furieuse qu’un étalon qui piaffe et danse sur lui-même quand elles sont en train de sortir de terre, affamées de lumière et de vie…

Borderline aussi a eu droit à sa poussée de croissance. Moi qui me croyais incapable de mener plusieurs projets de front, je me retrouve maintenant avec trois bébés sur les bras : Borderline 5, les Chants du Désert, et ce putain de Diario.

La vache, heureusement que je dors à peine depuis que je suis partie.

Le chien guide des cimetières, les aigles gardiens du désert, le gamin chaperon et des légumes secs à tous les repas

Y a quand même quelques événements qui méritent d’être rapportés ici, qui se sont produits durant ces deux furieuses semaines.

Le premier, c’est ma visite du cimetière de La Playa en compagnie du chien. Je passais devant l’église quand un jeune cabot tout maigrichon s’est foutu dans mes jambes en m’adressant un regard aimable avant de s’engager sur sa gauche. Y avait une grille, ouverte, surmontée d’une croix. Sans ce chien, j’y aurais pas vraiment fait attention. Souvent le cimetière du village se trouve près de l’église, mais c’est loin d’être systématique. En voyant la croix, et bien qu’une sorte de sentier pavé semblait monter après la grille, j’ai tout de suite su que c’était ça. Une amoureuse des cimetières latinos comme moi peut pas passer à côté sans y pénétrer. J’ai donc suivi le clébard qui paraissait m’attendre, et c’est bel et bien à une visite guidée que j’ai eu droit !

Ce cimetière est très original, puisqu’il faut d’abord monter une sorte de chemin de croix, ponctué de miradors offrant des points de vue magnifiques sur le village et les montagnes rocheuses alentour, pour y accéder. Le chien semblait avoir à cœur que je loupe aucun de ces points de vue ; il empruntait des petits sentiers cachés pour que je grimpe derrière lui et aille admirer la perspective nouvelle que chacun ouvrait sur la région, si bien qu’au lieu d’une vague demi-heure que m’aurait normalement demandé la visite, je suis restée deux heures à le suivre dans tous les coins.

Parvenus là-haut, l’envoûtement est total, et on peut pas s’empêcher de se demander si la mort est plus douce quand on repose dans un lieu comme celui-là. Les tombes font face à la montagne, tout en hauteur, caressées par un air sec et un soleil mordoré. C’est idiot, mais les mots “repos éternel” louvoyaient dans mon esprit en continu, et pour une fois j’avais l’impression qu’ils voulaient vraiment dire quelque chose.

Le second événement, c’est ma visite des Estoraques, lieu mythique dont je rêvais depuis un moment, et qu’avait largement contribué à ce que je loue cette fichue baraque. Il suffit que je lise “formations rocheuses étranges” ou bien “repère d’aigles et de serpents” pour être prête à me taper trois bus et me rendre à la frontière du Vénézuela dans un bled microscopique où les gens chuchotent sur mon passage tant ils voient peu d’étrangers.

En arrivant à l’entrée, l’un des deux mecs qu’étaient là pour faire payer le droit d’entrée (ouais, c’est un parc national) a tenté de m’entreprendre, mais j’ai déjoué ses plans et découragé ses tentatives foireuses de séduction. Je craignais qu’il se mette dans l’idée de m’accompagner, et déjà que j’évite autant que possible de prendre un guide quand c’est pas absolument nécessaire, c’est pas pour me taper un lourdingue de base dans les bottes.

Bref, c’est finalement seule que je me suis engagée sur le sentier. J’ai pas vu âme qui vive de toute ma visite, ça aurait pas pu être plus parfait. Encore du désert… Un autre, mais avec la même énergie. Ces senteurs de garrigue et d’argile sèche, le silence déchirant des aigles qui traversaient mon ciel pour rejoindre leurs nids, très haut perchés dans le creux des roches aux formes totémiques, le bruissement des herbes jaunes où murmurait le vent et détalaient les lézards à mon approche, la fraîcheur surprenante des grottes, ces arbustes qui croissaient sur les pierres et se tendaient entre les parois pour que leurs feuilles atteignent la lumière…

Qu’y a t-il d’autre à espérer, sinon de se sentir appartenir à un tel monde ?

Les énergies qui s’étaient levées pour moi dans la Guajira ont tendu leurs antennes pour recevoir ce nouveau combustible. Tout était encore vivant, encore très près de la surface, j’ai pas eu d’effort à fournir pour les réanimer. J’écrivais sur le désert depuis deux semaines, le désert vivait en moi de sa vie propre, et voilà que je replongeais en lui comme un embryon dans la matrice.

Un tel niveau de connexion est l’expérience la plus proche de l’extase, la plus jumelle de la transe que je connaisse. Savoir que je peux y accéder par mes propres moyens, disparue au monde dans ma puissante solitude, c’est ça qui me maintient en vie et alimente le feu sacré qui m’incite à continuer, toujours plus loin, aussi loin qu’il le faudra, pour la faire naître encore et encore…

Un autre jour, j’ai aussi marché jusqu’à la forêt de pins et pris les premières photos qui serviront un nouveau projet artistique avec mon ami Bruno Leyval.

Et puis une fois, en cherchant un mirador que j’ai jamais trouvé, j’ai atteint le sommet d’une colline, et j’ai vu le cimetière, juste en face, à la même hauteur. Il était beau depuis ce point de vue aussi.

Et puis il y a eu un autre chien guide, et un gamin aussi, Pedro. J’étais retournée au cimetière et avais repéré un chemin qui partait dans les montagnes. En m’engageant dessus, un petit chien noir m’a suivi, puis c’est un gosse que j’ai récupéré en chemin. Le sentier partait derrière sa maison et il a proposé de m’accompagner. On est retournés jusqu’aux Estoraques en passant par derrière, le chien sur les talons.

On a pas mal papoté tous les deux. Il était très ouvert pour un gamin de 11 ans, et très curieux, empli de questions intelligentes. A la fin, il m’a demandé mon nom, m’a dit le sien, et celui du chien qui nous suivait depuis le début : Niña, une chienne en fait, qui prenait un malin plaisir à guider les touristes dans le secteur (oui, y en avait quand même parfois, bien que j’en aie vu aucun durant mon séjour). Et c’est vrai que le jour de mon départ, en attendant le bus sur la place, j’ai aperçu cette petite chienne qui vivait dans la rue et des gens du coin l’appeler joyeusement par son prénom : Niña, Niña ! Un petit guide local, enjoué et gratuit, que tout le village connaît.

La dernière chose que j’aimerais rapporter ici, c’est l’étrange satisfaction que procure le fait de vivre d’une façon très simple, limite ascétique. C’est con, mais y avait pas de distributeur de fric dans ce bled, et vu que je pensais pas rester si longtemps, j’avais pas prévu d’avoir beaucoup d’espèces sur moi. Il a donc fallu gérer avec le peu que j’avais…

Ça tombait plutôt bien que les rares tiendas du village ressemblaient aux supermarchés de l’ex Union-soviétique : que du basique. Du très basique.

C’est marrant, pour nous qu’avons l’habitude d’avoir le choix entre un nombre parfaitement terrifiant de marques qui vendent pourtant exactement la même merde, de se retrouver face à ça. Tu veux du riz ? Voilà du riz. Des lentilles ? Pas de boites de conserve, prend donc ce petit sachet de lentilles sèches. Des légumes et des fruits ? Arf, y a bien une ou deux carottes qui traînent, et puis regarde, t’as de la chance, aujourd’hui on a eu un arrivage de petits pois frais.

Voyez le délire ? Eh bien, j’ai appris à me satisfaire de très peu, et surtout à cuisiner mes propres arepas, avec la farine de maïs qu’on est au moins sûr de toujours trouver ici ! Ainsi recentrée sur l’essentiel, à manger mes aliments bruts et dédiée à écrire, cette ascèse m’a rappelé ma diète d’ayahuasca, où je bouffais quasiment rien non plus : riz complet, avoine à l’eau, bananes plantain. Je me demande si ce genre de phase n’est pas bénéfique à l’écriture, ou du moins au dévouement à un but plus élevé. Débarrassé du superflu, entièrement dédié à la tâche qui t’incombe, que tu t’es choisie comme prioritaire, le boulot se fait avec une sorte d’urgence, de nécessité absolue.

Mec bourré à 7h du mat, le Seigneur, et une faille dans la Terre

Une très longue journée de bus m’attendait, mais je l’ignorais en quittant ma maison à 6h du mat. Je me suis retournée une dernière fois pour regarder cet endroit où j’avais connu une telle paix, une telle inspiration, et j’ai remercié l’univers d’avoir si bien placé ses pièces sur l’échiquier.

Arrivée à Ocaña, j’ai pris le temps de fumer une clope avant d’enchaîner les transports, et un mec un peu chelou m’a abordé. Jeune, pas menaçant, mais un brin tapé de la cafetière quand même. Il m’a abordée avec une phrase que j’ai pas pigée, j’ai voulu jouer l’idiote qui parle pas la langue, manque de bol ce type baragouinait l’anglais, et c’est donc moitié en anglais moitié en espagnol qu’on a engagé une étrange conversation, pas mal décousue.

Rapidement il m’a appris qu’il était bourré, ce qui expliquait des tas de trucs. Il se demandait ce qu’une Française foutait dans ce bled paumé, et m’a appris que son frère était mort récemment et qu’il restait quelques semaines chez ses parents. Je crois qu’il était gay, et en tant qu’homme capable de se mettre à la place des femmes, il m’a rassurée en me disant qu’il en avait pas après moi, et que ça devait être difficile à gérer parfois, en tant que femme, dans ce pays assez macho. Malgré tout, son flot de paroles de beau matin m’épuisait les neurones et j’ai coupé court en lui disant que je devais prendre mon bus. Il a eu l’air déçu, d’autant plus qu’il tenait de toute force à me payer un chocolat chaud, mais moi je suis le déversoir de personne. Si à une époque j’avais tendance à me montrer trop disponible face à n’importe quelle âme errante, c’est terminé.

Alors que j’attendais mon bus un peu plus loin, il est revenu me tenir la jambe mais le chauffeur m’a sauvée en m’appelant. Pardon, vieux, mais chacun sa route.

C’était encore un micro-bus, à croire qu’y avait que ça dans cette région, mais ça m’allait bien. Pour la pause de midi dans un comedor de bord de route, j’ai papoté avec les deux femmes qui voyageaient à mes côtés sur la banquette arrière. Une Chilienne en vacances et une Colombienne qui rentrait d’une visite à ses petits enfants. Toutes deux étaient folles de nature et une phrase de la Colombienne m’a marquée. Alors qu’on avait repris la route, elle m’a demandé en observant amoureusement le paysage : Comment Dieu a pu imaginer tant de beauté en ce monde ? Comment il a pu créer tout ça ? La partie cynique de mon esprit a répondu : L’évolution, ma bonne dame, tandis que l’autre, la partie spirituelle, lui disait : Moi aussi je me le demande…

Arrivée à Bucaramanga, c’était toujours pas fini, et j’ai donc pris un nouveau colectivo pour mon ultime destination. Je savais qu’on allait passer par le fameux canyon del Chicamocha, et malgré ma fatigue cette idée me réjouissait. J’ai pas pu faire de photos convenables depuis le bus, mais cette faille immense en plein cœur de la Terre était de toute beauté, et la route en elle-même, avec ses cactus sur les côtés et sa terre rouge, incendiée par le soleil en train de se coucher, restera pour moi un brillant souvenir.

Ça faisait longtemps que j’avais pas débarqué de nuit dans une ville sans avoir rien réservé comme hôtel. Ça m’a rappelé un soir au Pérou, pas loin de Tarapoto, quand je me dirigeais vers la frontière de l’Équateur, et que j’étais tombée dans un hôtel de passes. Le genre de bon matos pour un écrivain, et ce passage se trouve d’ailleurs dans Borderline 1. Ouais, j’y peux rien. En fait, j’ai jamais cessé d’écrire, je m’en rends compte de plus en plus…

J’ai trouvé un hôtel sans mal, vraiment pas cher et très clean. La femme qui m’a accueillie semblait toute ravie que je porte le même prénom que sa fille (ce qui est très rare dans ce pays, la plupart des gens n’arrivent même pas à prononcer “Zoë” correctement).

Je me suis douchée (eh merde, encore de l’eau froide) et suis tombée dans le lit sans même bouffer. Mais au fond, j’adore les journées de voyage épuisantes où tu pars de nuit et arrive de même. Putain, c’est tellement excitant !

Le choix de l’écriture ; quand la réalité rejoint la fiction

J’aurais pu faire des tas de trucs de touriste à San Gil, du style canyoning et parapente, mais si je veux que mon voyage dure longtemps, je suis forcée de me restreindre. Et je suis désormais convaincue que ce qui m’intéresse le plus, c’est de vivre sur la route, et d’écrire, alors je suis prête à renoncer à quelques trucs pour me concentrer sur ça. D’ailleurs, depuis la maison, je favorise les hôtels pourvus d’une cuisine à disposition des clients, et putain ça me fait faire de sacrées économies !

C’est ce type d’auberge que j’ai choisi à Barichara, autre village enchanteur mythique sur lequel je fantasmais depuis mon premier séjour en Colombie. Rien à faire, ce genre d’ambiance est favorable à l’écriture, beaucoup plus que celle, torride et endiablée, des caraïbes, et navrée si je défonce le mythe de l’auteur rock n’ roll, mais même cet enfoiré d’Hunter S. Thompson n’a rien pondu de valable à Puerto Rico !

Et puis, ce village abrite la véritable église du tome 1 de Borderline, et rien que pour ça, ça valait le coup. Quand je suis entrée dedans et que j’ai vu ce Christ accroché en face avec ses yeux de souffrance au ciel et sa couronne d’épine sur la tête, j’ai su qu’une fois de plus, ma fiction rejoignait ma réalité. Et si les fans aiment visiter les lieux qui ont inspiré les livres, moi j’adore me balader au sein des miens, et découvrir que ce que j’ai décrit existe quelque part, alors que j’en savais rien en l’imaginant.

Moi j’aime la magie, surtout quand elle concerne la vie de Travis et la mienne.

Et puis cette lumière au coucher du soleil depuis les hauteurs…

Se bourrer la gueule avec une célébrité locale

J’ai continué ma descente vers le sud en me rendant à Guadalupe, connu pour ses rivières aux trous d’eau. J’ai enchaîné les micro-bus et pour finir suis montée dans une sorte de pick-up avec des bancs en bois et une bâche par au-dessus, comme ils ont parfois ici. Y avait seulement un type à l’arrière avec moi, alors on a taillé le bout de gras. Il m’a raconté que depuis la pandémie, il avait quitté Bogotá et sa vie de bureau pour revenir sur les terres de son enfance et reprendre la finca (ferme) familiale, à cultiver des fruits. Avec le soleil et l’eau qu’y avait dans la région, on peut dire que ça marchait plutôt bien, même s’il gagnait moins qu’avant, mais la tranquillité qu’il connaissait ici valait selon lui tout l’or du monde.

Dieu sait que c’est un truc que je peux comprendre. Vivre modestement, mais être… plus heureux ? Lui et moi, on se demandait ce qu’on était censés faire du fric quand on travaillait tellement qu’on avait même pas le temps d’en profiter, attaqué par le stress de ce genre d’existence qui bouffe sur pied l’essence même de la vie.

Ces quelques jours dans ce bled ont été sacrément cool, l’écriture marchait toujours, et avec ces splendides rivières à quelques kilomètres de marche du village, la récompense après le boulot était instantanée. Entre-deux, j’ai quand même trouvé le moyen de me faire interviewer depuis la France pour une émission de radio, et m’empilonner la gueule avec le mec le plus connu de Guadalupe !

Il m’avait fourgué sa carte à mon arrivée, alors que j’étais encore dans le pick-up (on l’avait croisé pour déposer le bureaucrate reconverti en fermier, et, repérant la gringa, il avait fait ni une ni deux), et puis quand il m’avait trouvée devant la porte de mon auberge, il s’était proposé d’appeler la proprio pour l’avertir de mon arrivée. Je savais qui était ce type rapport à mon guide Lonely Planet, qui le présentait comme le premier à avoir développé le tourisme dans la région, en offrant ses services de guide.

Du coup, quand l’envie de faire un tour de cheval s’est fait sentir (j’ai oublié de signaler que ce village était un haut lieu de cowboyerie, les hommes portaient fièrement le sombrero et on pouvait les voir, sur leurs chevaux, réunir les vaches dans les champs), j’ai ressorti sa carte de visite et lui ai envoyé un message. Il avait pas de plan pour louer un cheval, mais en revanche il m’a proposé de le retrouver à l’hôtel dont il était le dueño (tiens tiens), en plein sur la plaza mayor.

On s’y est mis direct. Cerveza sur cerveza, le courant passait foutrement bien entre nous. Au bout d’un moment, je lui ai fait : Et alors, comment on fait pour devenir le mec le plus célèbre de la région ? Apparaitre en “coup de cœur” du Lonely, Hombre, y a des gens qui tueraient pour ça !

Il s’est fendu la poire avant de me mettre au parfum du délire ; j’ai eu droit à toute sa biographie, qu’était du genre intéressant. La façon dont il avait tenté de fuir le service militaire, comment ils l’avaient finalement chopé, pour qu’au final il devienne infirmier de l’armée et sauve des vies pendant treize ans. Un mariage foireux, deux filles, puis le retour au bercail. Ouverture d’un resto qu’a bien marché, rencontre avec un gringo amerloque complètement allumé avec qui il a sympathisé, à qui il a fait découvrir la région. Y se trouve que ce mec tenait un blog de voyage, l’un des premiers sur la Colombie, et qu’il a parlé de lui. Ce type taffe désormais pour le Lonely Planet. Et voilà comment on connaît la gloire !

Déjà passablement torchés, on est partis sur sa moto pour aller voir le coucher du soleil depuis le haut des montagnes, sans oublier bien sûr de se prendre des munitions en chemin. Là-haut on a retrouvé le couple de Belges qui squattaient l’hôtel, ce qui fait qu’on a dû partager nos bières. C’était des petits jeunes (faut que je m’y fasse, désormais tous ceux que je rencontre sont des gosses de 20 ans !), avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à parler, au point de poursuivre la conversation en rentrant. Avec la star locale on est repartis à moto, mais vu qu’on avait un peu pitié du couple qui s’était tapé toute la route à pied, on a pris des bières et changé de véhicule pour aller les récupérer en caisse. En mettant de la zik, le mec célèbre nous apprend qu’il a eu les CD livrés avec la voiture quand il l’a achetée, mais qu’il fatigue un peu d’écouter toujours les mêmes, alors moi je fais : Bah faut que t’achètes une nouvelle caisse… Ça nous a tordus de rire.

Allumée comme je l’étais par toute cette biture quand les gosses m’ont lancée sur mes bouquins, et entourée des bonnes ondes que diffusaient ces chouettes gens tout autour de moi (z’avez jamais remarqué que c’est plus facile de s’exprimer quand les autres vous écoutent vraiment, alors que vous bafouillez quand leur attention est naze ?), j’étais là, debout face à eux posés sur les canapés, une bière à la main, une clope dans l’autre, à m’enflammer au sujet de Borderline, de l’ayahuasca, de la vie sur la route et de la liberté, et c’était bon, putain, c’était tellement bon de se sentir comprise et écoutée comme ça que je pouvais plus m’arrêter, tout en culpabilisant de monopoliser la parole, mais voilà ce qui arrive après des semaines de solitude : quand ça sort, c’est l’inondation !

Bref, les jeunes ont fini par aller se pieuter, et j’ai laissé le dueño avec les Pink Floyd en fond sonore, pour rentrer complètement pétée par les rues noires du village.

Quête personnelle, páramo et fendage de gueule à 3800 mètres d’altitude

J’avais repéré un tout petit village qu’avait l’air inspirant, mais j’avais omis de vérifier à quelle altitude il était, si bien que quand j’ai débarqué là-bas à 19h, après une journée complète de bus (j’étais partie à 7h), en short, j’étais frigorifiée ! Mais l’hôtel que je m’étais trouvé était du style auberge chez l’habitant, et la gentille tenancière m’a fait une soupe que j’ai avalée direct en compagnie des autres clients qu’étaient là, une Américaine et un Québécois. La gonzesse a bouffé et s’est tirée, et l’autre a fait : Ah, on peut enfin parler français !

Je sais plus comment on en est arrivés là, mais soudain on parlait de nouveau ayahuasca, quête personnelle, en se demandant si on devrait pas tout lâcher pour de bon au lieu de se comporter en touristes, qui certes voyagent sur de longues durées, mais gardent toujours au fond de leur tête l’idée que tout ça n’est que passager, que leur cocon les attend encore, et, pire encore, avec la volonté sous-jacente d’en retirer quelque chose d’exploitable (ce mec-là tenait aussi un blog, faisait des vidéos, et était musicos), comme pour transformer tout ça en… produit.

Vers la fin, on en était à parler physique quantique et synchronicités. Messages qu’un moi futur envoie au moi passé via l’intuition et les signes. Continuum temporel. Réécriture permanente de son histoire personnelle. Du lourd, en fait, même si en ce qui me concerne, ces sujets sont ceux qui me passionnent le plus. Étrange quand même de se trouver perdue dans un bled comme Monguí à 2500 mètres d’altitude avec un parfait étranger, et d’en arriver à évoquer des choses si profondes, et si intimes, en définitive, sur sa propre vie.

Dommage, ce mec-là se barrait le lendemain, mais j’ai fait le trek du páramo (plaine de haute montagne) de Ocetá avec l’Américaine, un Égyptien et deux Colombiens de Medellín. A la base, j’aurais voulu attendre le lendemain pour me taper ce truc, mais voilà, l’excursion avec le guide était prévue ce jour-là, et tant qu’à faire, j’allais pas jouer les chochottes, alors à 5h du mat j’étais debout en train de fumer ma clope face au champ des vaches, par 5 degrés. Je sais pas comment j’ai trouvé le courage de prendre une douche tiède dans la salle de bain commune glaciale. Et à 6h30 on était partis.

Y a toute une histoire au sujet de ce páramo que les indigènes protègent farouchement, et dont ils autorisent l’accès aux touristes ou non, et là c’était un peu sur le fil, mais notre guide a trouvé moyen de moyenner, même si on a dû se taper à pied une partie qui normalement se fait en 4x4, amenant la distance finale parcourue ce jour-là à 22km de marche, sachant qu’on passe de 2500 à 3800 d’altitude (donc méchant dénivelé). C’était rude, mais ça valait le coup. C’est pas le premier páramo que je vois (j’avais fait un trek à cheval de trois jours vers San Agustin, pour me rendre à l’endroit où naît le fameux Rio Magdalena qui traverse tout le pays, qui est aussi un páramo), mais c’est toujours aussi surréaliste et spectaculaire. Ces plantes endémiques, ces couleurs qu’on ne voit nulle part ailleurs, ce brouillard…

Et puis évidemment, je me suis fait pote avec le guide, lui-même poète à ses heures, et je l’ai tordu de rire en étant selon lui extrêmement direct avec mes gros mots et mon humour du genre mordant. Par exemple, on parlait du fait d’être reconnu en tant qu’artiste. D’une manière générale, tout le monde n’arrête pas de me dire que ça finira par m’arriver, qu’y faut pas que je désespère. Bah là, pour le coup, je lui ai sorti : Ouais, n’empêche que t’as tout un tas de clampins qu’ont jamais été reconnus de leur vivant, et qui sont morts dans la pauvreté comme de sombres merdes inconnues avant que, trois siècles plus tard, quelques baltringues se décident à reconnaître leur talent et crient finalement au génie. Bordel, mais fallait se réveiller avant, les gars, allez vous faire foutre ! L’autre est mort dans la misère parce que personne voulait faire l’effort de reconnaître sa valeur, et maintenant tout le monde lui jette des fleurs ? Ça vaut bien le coup, tiens ! Nan, la vérité, c’est que c’est tout à fait possible que je finisse serveuse comme une débile, et voilà, à ce stade c’est une question de destin, c’est comme ça.

Moi je trouve pas ça spécialement direct, mais j’ai fait rire tout le monde, une fois de plus. Je crois que c’est surtout le côté désabusé qui fait marrer les gens. C’est vrai, remarque, moi aussi ça me fait rire !

A force de discuter avec beaucoup de monde, j’ai appris quelque chose qui chagrine pas mal mes plans. Depuis la France, avant mon départ, j’ai prévu de rejoindre le Pérou par le fleuve Amazone. A l’extrême sud de la Colombie, les frontières du Brésil, du Pérou et de la Colombie donc, se touchent, et il est possible de rejoindre Iquitos par voie fluviale. Et vu que moi je prends jamais l’avion pour faire des sauts de puce dans un même pays ou d’un pays à l’autre (cela dit je vais devoir le faire bientôt…), c’est exactement ce qu’il me faut, d’une parce que je connais déjà l’Équateur (pays frontalier de la Colombie, seule autre voie qui permet de passer au Pérou par voie terrestre) et que c’est précisément comme ça que je suis arrivée en Colombie la dernière fois, de deux parce que j’adore l’aventure, et que même si c’est pas du Mike Horn, bah ce périple en bateau s’en approche pas mal quand même !

Mais apparemment, c’est pas possible en l’état actuel. Disons qu’ils te laissent passer, mais refusent de te tamponner le passeport, ce qui peut s’avérer très problématique (j’ai beau être une aventurière, de là à passer en mode clandestino, y a des limites).

Et donc, j’ai pris une décision, qui à vrai dire faisait déjà son chemin en moi depuis un sacré bout de temps.

Marcher sur d’anciennes traces et voir des fantômes

J’écris ces lignes depuis Villa de Leyva, le village où j’ai été confinée 4 mois en 2020. C’est quand j’étais ici que Wish est mort. Et c’est d’ici que j’ai publié le Tome 2 de Borderline (je ne compte pas revenir dessus, ceux qui souhaitent des précisions, filez lire mon autobiographie).

J’ai pris la décision de rester dans ce village pendant un mois, à écrire. Je vais demander une prolongation de visa pour rester six mois en Colombie au lieu de trois. De cette manière, je donne une chance à la situation frontalière de se réguler, à Borderline 5 de s’écrire, et ça me laisse une marge financière pour poursuivre les plans magnifiques que j’ai encore en réserve avec ce pays (plans qui comprennent, pour le coup, deux vols internes, mais j’ai pas le choix). Ces projets risquent d’être coûteux, c’est pourquoi rester ici un mois entier, dans un appartement que je loue, va me permettre d’économiser à mort afin de claquer mon fric pour ces expéditions qui me tiennent vraiment à cœur.

Et la vérité, c’est que je suis carrément ravie de me consacrer à l’écriture pendant un mois entier depuis ce village qui est porteur d’une si lourde charge émotionnelle pour moi.

C’est pas la première fois que je reviens sur mes propres traces, des années après. J’avais déjà fait le coup avec le Pérou, en y remettant les pieds 10 ans plus tard. Il me semble que je peux encore voir le fantôme de celle que j’ai été, en train de marcher sur les chemins hors du village…

C’est une manière unique de mesurer sa propre évolution. Quels espoirs est-ce que je nourissais à l’époque, quels étaient mes rêves, mes priorités, mes peurs ?

Me voilà pile-poil 2 ans plus tard, et le bilan est loin d’être dégueulasse. Je compte pas me jeter des fleurs, mais il est clair que j’ai accompli tout ce que je m’étais promis, et plus encore.

Et bordel, c’est exactement ce que je vais continuer à faire.

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© Zoë Hababou 2022 - Tous droits réservés


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