Le Journaliste, Background : Une Histoire de Dope
Rapidement, la glace entre nos deux mondes fut brisée ; je lui proposai de la meth, il me parla des âmes en souffrance qu’il avait en cours, nous conversâmes tels deux larrons en foire légèrement surexcités par un abus de barba papa à la fête foraine.
Genre : Gonzo
Le Pitch
Un journaliste accro au crystal meth doit trouver le Diable pour l’interviewer. Quand il met finalement la main dessus, leur rencontre se révèle beaucoup moins solennelle que prévu, mais aussi plus drôle, et plus dangereuse…
La Genèse
Quand on est fan d’Hunter S. Thompson, se glisser dans sa peau le temps d’une nouvelle est terriblement tentant. L’intérêt de l’exercice, au-delà du fait que son personnage est jouissif et qu’il offre la latitude d’aller aussi loin qu’on veut dans la dinguerie, est évidemment de s’essayer au Gonzo.
Le Gonzo, c’est un style littéraire journalistique où le narrateur, plutôt que de rapporter des faits d’une façon neutre et objective, se met lui-même en scène dans sa lutte pour “couvrir l’événement”. Ajouté à ça, il est de bon ton de faire intervenir dans le récit de la dope, et un comparse.
Voilà les éléments clés du Gonzo.
Le personnage du Journaliste s’est rapidement imposé à moi. Faut dire que Las Vegas Parano se passe déjà dans le désert, et qu’imaginer Raoul Duke (alter-ego d’H.S.T.) en train d’interviewer le Diable est comme qui dirait le summum en matière de fantasme de fan… d’autant plus que je trouvais intéressante l’idée que le Diable s’exprime en dehors de la nouvelle qui lui sera consacrée, d’une manière directe. Et ça, seul le Journaliste pouvait l’amener à le faire, c’est dire si son rôle au sein des Chants du Désert est irremplaçable !
Et puisque que chaque nouvelle possède son propre style et son propre genre, je me suis dit banco.
L’autre truc pertinent, avec ce personnage, c’est qu’en tant que journaliste en reportage, ça n’a rien de surprenant qu’il croise d’autres figures de la série, même si je dois avouer que je m’attendais pas à ce que ce soit le Prophète et les Mécanos. Pourtant, une fois rédigé, ça colle parfaitement.
La version hallucinée du Journaliste de ce qui se trame dans ce putain de désert est un truc dont j’aurais pas pu me passer, surtout après le sérieux de La Passagère. L’idée centrale qui sous-tend cette série, c’est qu’il existe différentes versions d’une même histoire. Selon le point de vue de chaque personnage perdu au sein de son enfer personnel, les autres individus, et même le Diable en personne, n’ont pas du tout le même visage. C’est d’ailleurs ce que celui-ci explique lors de son interview. Mais au-delà du fait que le Tentateur se présente sous diverses apparences selon l’âme qu’il a choisi de séduire, c’est surtout l’idée que la réalité dépend de celui qui l’observe qui est essentielle ici, et que cette nouvelle révèle, grâce à la vision droguée et au témoignage gonzo, donc ultra-subjectif, qu’en fait le Journaliste.
Pensez-vous que le Prophète rapportera la même version ? Lui, à demi-mort et trébuchant, en train de parler tout seul et de délirer sur Dieu ? Rien n’est moins sûr… C’est pourtant ce qu’a vu le Journaliste, et le Diable possède encore une autre version. Voyez l’idée ?
Si je fais bien les choses, cette série sera une fresque saisissante, polyphonique, où les histoires (autant celles de chaque perso que l’histoire générale qui les réunit) s’accouplent et s’entre-déchirent pour livrer des court-métrages dantesques hétérogènes tout en étant interconnectés, comme les différents cercles de l’enfer…
Ce que j’aime bien avec cette version du Diable, c’est qu’il est terriblement humain, et que ça le rend attachant ! Même si tout compte fait son attitude était peut-être calculée, puisqu’il baise le Journaliste en beauté à la fin (qui se figure pourtant, comme on le découvre à la toute dernière ligne, avoir fait une super affaire - mais c’est toujours le cas, avec le Diable, pas vrai ? Relisez Le Clown et La Passagère, vous comprendrez !), il n’en demeure pas moins que le temps de l’interview, on a la certitude qu’il se montre honnête, et que, oui, c’est quelqu’un qui souffre, et qu’au fond de lui il est toujours ce petit garçon qui a défié son père et s’est fait rejeter par lui…
En commençant à écrire, c’est pourtant pas du tout ce que je voulais ; j’avais dans l’idée de partir sur la figure hautaine et mystérieuse, un brin affectée, qui sied généralement à Satan, et ç’aurait été cool à rédiger aussi. Mais les choses ont pris cette tournure et ça me va très bien. Lucifer qui se défonce et picole avec Hunter en geignant sur la connerie humaine, merde, faut l’écrire soi-même pour capter à quel point c’est cool !
Cette genèse part dans tous les sens (le Gonzo est encore en moi, je le crains), alors je vais conclure avec deux éléments importants révélés ici :
Le Diable se cache en chacun de nous
- Qui de nous deux a trouvé l’autre ? C’est moi qui t’ai déniché, ou est-ce que c’est toi qui m’as convoqué ?
- Ça ne fait aucune différence. Dans ce désert, tout est à double tranchant.
La passion et la perdition sont une seule et même chose
Pour la bonne raison que c’est pour cette chose, et cette chose seulement, que tu es prêt à tout sacrifier, jusqu’à ton âme. Ce de quoi tu veux vivre est aussi ce pour quoi tu es prêt à mourir. Et donc, le désir et la passion qui te rongent et brûlent en toi d’une flamme éternelle, finiront inévitablement par dévorer ton âme. Que ce soit moi qui le fasse, ou toi, tout seul, sans l’aide de personne.
Si ces révélations avaient déjà été timidement annoncées dans les nouvelles précédentes, ici, la vraie lumière est faite sur elles. Et vous êtes suffisamment intelligent pour vous passer de mes explications.
Je vous demanderais juste d’être particulièrement attentif à ces éléments dans le futur. Ils vont prendre de l’ampleur et risquent fort d’atteindre la crise métaphysique…