La Chanteuse, Background : Une Histoire de Sexe

Je vais redevenir cette ombre qu’a fusionné avec la tienne quand tu me faisais l’amour, pénétrer cette dimension où tu te planques, celle où tu es le Roi, marcher dans les ténèbres, écraser les os, piétiner les autres damnés, défier tes cerbères et tous ceux qui oseront se mettre en travers de mon chemin.

Genre : Érotique

Genèse de la nouvelle La Chanteuse, par Zoë Hababou

Le Pitch

Une chanteuse en quête d'inspiration, recluse en plein désert, voit un jour le Diable se présenter à elle. Après l'avoir séduite et rendue folle amoureuse, il l'abandonne. Son amour se transforme alors peu à peu en torture.

La Genèse

L’idée de base de cette nouvelle, c’était de parvenir à transcrire les émotions suscitées par une chanson. Enfin, deux en fait. Un exercice tout ce qu’y a de personnel, en somme, mais qui se prêtait admirablement aux Chants du Désert, vous allez piger pourquoi.

Avant d’aller plus loin, voici ces deux fameux morceaux de PJ Harvey :

 

THE DANCER

 

SEND HIS LOVE TO ME

 

Transcrire la musique en mots

Ces chansons font partie d’un même album, et j’ignore si c’est une volonté de PJ Harvey, mais selon moi, elles se suivent et content la même histoire, à savoir, la rencontre de la chanteuse avec un homme charismatique, puis sa solitude et sa chute dans la folie quand cet homme s’en va.

Beaucoup d’éléments de ces chansons se trouvent dans la nouvelle, je m’en suis servis comme piliers et comme repères tout le long de la rédaction. Mon but était de parvenir à faire éprouver au lecteur ce que moi j’éprouve à l’écoute de ces musiques. Je saurai jamais si j’ai réussi, bien sûr, mais il me semble qu’il est toujours bon d’avoir une vraie ligne directrice lorsqu’on écrit. Je ne parle pas de plan, mais de volonté. S’attaquer à une émotion qu’on veut déterrer, sublimer, mettre en scène, creuser jusqu’à l’os, en gros donc, atteindre la substantifique moelle d’un sentiment humain.

Dans La Chanteuse, il y en a plusieurs : la rencontre avec son idéal, le désir sexuel insensé, la douleur de l’abandon, du manque et du deuil, et enfin, la chute dans la démence et la marche vers le suicide.

Au début, je tâtonnais avec ce personnage. Je me demandais laquelle des autres figures des Chants pourrait avoir été l’amant de la Chanteuse. Le Poète, le Sorcier peut-être ? Et puis, j’ai eu une révélation.

Le Diable.

Qui d’autre que lui aurait pu tourner la tête de cette pauvre fille à ce point ? Et puis, tout coïncidait parfaitement ! Puisque toute cette série s’articule autour du thème de la passion destructrice entraînant la perdition, le Diable était le candidat idéal pour mener la Chanteuse au point de rupture…

Et j’ai su que cette nouvelle serait du genre ÉROTIQUE.

Du sexe !

En tant qu’écrivain, c’est bien sûr un plaisir énorme de se colleter à la représentation de Satan comme amant badass ultime, fantasme ambulant, Dieu du Sexe, j’en passe et des meilleures ! Ouais, parfois, on écrit avant tout pour se faire plaisir à soi, et je peux vous dire que… j’en ai éprouvé, du plaisir, à écrire ce truc, même si l’exercice m’a fait suer pendant une semaine entière ! C’est loin d’être évident, d’écrire des scènes de cul sans tomber dans les clichés du genre, et pour être parfaitement honnête je sais très bien que je les ai pas tous évités. D’un autre côté, nos fantasmes et notre imaginaire fonctionnent pratiquement selon les mêmes règles. Z’avez qu’à cuisiner les meufs de votre entourage ou tout simplement regarder en vous-mêmes : personne ne fantasme sur un banquier bien propre sur lui affligé de calvitie. Navrée.

Et puis merde, on parle du Diable après tout, et en tant que Tentateur, il est évident que s’il y en a bien un qui se doit d’incarner l’Idéal badass qui pollue l’esprit des nymphettes, bah, c’est lui ! Donc, je me suis pas gênée pour y aller à fond.

Cela dit, l’intérêt majeur d’écrire sur le sexe, c’est pas tant de parvenir à décrire les positions les plus invraisemblables de façon à ce que le lecteur puisse bien tout visualiser, sinon d’atteindre le cœur de cette fièvre animale qui prend possession des Hommes quand le feu du désir les embrase… et de la faire ressentir au lecteur.

On pourrait penser que ça n’a rien de très élevé ni de très noble. Pourtant, j’éprouve un respect sans nuance pour cette partie primitive et affamée de nous-même capable de dominer l’être entier quand elle s’éveille, peu importe la forme qu’elle emprunte : sauvage, obscène, insatiable, et bien souvent, dépourvue de toute raison.

L’idée était donc de mettre en scène cette envie vorace et amorale qui transcende la protagoniste au contact du Diable, si doué pour réveiller ses plus bas instincts…

Et si le Diable était un symbole de la Muse ?

Mais au-delà de cet aspect purement sexuel et fantasmagorique, le lecteur attentif aura repéré un parallèle évident entre le Diable et l’Inspiration, révélant la figure de Lucifer en tant que Muse. Je ne compte pas m’étendre sur le sujet (je l’ai déjà fait en long et en large avec Le Prophète), mais il peut être intéressant de garder ça en tête à la lecture ; l’inspiration comme maléfice, la muse comme source d’excitation, de délice dionysiaque et de sublimes abîmes, l’œuvre comme rencontre avec son être intérieur mais aussi comme perte de soi et démence… Et enfin, la possibilité que l’art le plus beau soit celui que l’artiste cache en lui, celui que le public ne connaîtra jamais, comme ces chansons que la Chanteuse chante en se dirigeant vers sa mort…

Du coup, la question émerge : le Diable est-il vraiment venu, ou bien toute cette histoire n’est-elle qu’une métaphore de l’Artiste en proie à ses démons ? L’Artiste qui prie pour que sa muse le trouve, qui s’enflamme quand elle le possède, et qui devient fou quand elle s’en va… avant de réaliser qu’elle lui a laissé un cadeau caché tout au fond de lui : un art non destiné à la gloire, secret, sublime, qu’il ne pourra trouver et comprendre qu’au moment de sa mort. Mort ou suicide, qui, soit dit en passant, pourrait symboliser le retrait hors du monde et donc l’entrée dans une sphère bien plus pure où l’œuvre et la vie fusionnent. Et où le cœur de l’Artiste serait enfin en paix…

Ou alors, le fait que la Muse s’éclipse en faisant tomber l’Artiste dans la folie n’est qu’une étape afin qu’il se mette en quête de celle-ci au lieu de l’attendre passivement en regardant l’horizon ? Au début de l’histoire, c’est le Diable qui se présente, mais à la fin, c’est la Chanteuse qui sait désormais comment le retrouver… quitte à aller chercher l’inspiration jusqu’en enfer comme elle le fait à la fin, c’est-à-dire, se connecter à ses propres ténèbres (ce que j’ai fait moi aussi, dans une certaine mesure, pour écrire ce texte).

Sous cet angle, la Muse serait donc à la fois un démon et un dieu. Personnellement, je trouve ça magnifique.

Comme toujours avec moi, il y a plusieurs niveaux de lecture.

La violence de l’amour…

Je pourrais m’étendre des heures et des heures sur le deuil d’une histoire d’amour, le manque qui creuse le ventre, la façon dont on se transforme en l’ombre d’une ombre voire l’ombre d’un chien (vous avez reconnu la chanson de Brel, Ne me quitte pas ?) quand on est raide dingue amoureux, la manière dont ce qu’on éprouve envers celui qu’on aime s’apparente à un maléfice (I put a spell on you, évidemment !), ce que la solitude peut engendrer comme mirages tandis qu’on prie pour voir apparaître son idéal à l’horizon, la façon dont on devient soudain croyant, dont on se raccroche à n’importe quoi quand on est en deuil, même aux fantômes, l’envie sauvage d’aller se perdre à jamais au cœur de l’oubli quand la vie n’a plus de sens et s’apparente à une sombre attente de la mort, lorsque toute signification a disparu, ou encore, la beauté des flammes du désir qui dansent dans les yeux de son amoureux et cette violence sublime du corps quand il subit l’appel lancinant du sexe…

Bref, bien que cette nouvelle m’ait demandé beaucoup d’efforts en me forçant à me connecter à des trucs que j’aurais parfois préféré laisser dans l’Ombre, je suis heureuse de l’avoir écrite, et d'avoir pu m’approprier l’espace d’un instant ces chansons sublimes de PJ Harvey qui me hantent depuis des années.

La puissance de cette femme, sa fragilité féroce qui devient sa force, sont pour moi un exemple, presque une apothéose de ce qu’une femme peut être, et je compte bien continuer à m’en servir comme guide…

La musique, c’est quand même quelque chose, pas vrai ?

 

Déjà sept nouvelles publiées dans la série des Chants du Désert, c’est cool, ça commence à prendre forme ! En chemin, d’autres idées ont émergé, de nouveaux personnages, des lieux, des animaux, des esprits… Moi je me tire pour la jungle amazonienne dans deux jours, donc le rythme des publications va ralentir, mais restez connectés, toutes ces histoires sont en train de mûrir bien comme il faut…

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