Le Poète, Background : Une Histoire d’Inconscient

Écoute bien, Poète - Tout ça n’est plus de ton ressort - Tu as été choisi par lui - Il a marqué ton âme du sceau sacré - Des Esprits des Guerriers - Il t’attend pour commencer le combat

Genre : Poésie

Genèse de la nouvelle Le Poète, par Zoë Hababou

Le Pitch

Un poète hanté par un souvenir d’enfance entend en rêve qu’il doit se rendre dans le désert pour rencontrer l’esprit du peyotl. Durant ce trip, le personnage sur lequel il tombe va lui expliquer son passé et lui faire des révélations sur son avenir.


La Genèse

Considérations rapides sur la Poésie

Un truc qui m’a marquée au sujet de la poésie, c’est ce qu’en dit Stephen King dans Écriture : Mémoire d’un métier. Sa femme et lui se sont rencontrés au bahut, et ont sympathisé lors d’un atelier poésie. A l’époque, les hippies avaient envahi le monde, et leur mentalité avec, si bien que lors de ce fameux atelier, la majorité des poèmes pondus étaient du genre ésotérique, ou du moins, plus ils étaient obtus, plus on les jugeait profonds. Et quand on demandait à l’auteur ce qu’il avait voulu dire, le fait qu’il ne le sache pas lui-même était considéré comme gage d’une véritable inspiration.

Or, y se trouve que King et sa future femme fonctionnaient différemment.

Sa future avait écrit un poème sur un ours, et donc, se pliant à la règle, elle l’avait lu devant la horde de prétendants poètes chevelus avant d’être interrogée sur le sens de ce qu’elle avait écrit. Eh bien, contrairement à tous les autres, elle savait précisément ce qu’elle avait voulu dire, et selon King, était plutôt bien parvenue à le faire.

Les références au printemps, aux abeilles, aux bâillements de l’ours et à je ne sais quoi signifiaient vraiment quelque chose pour elle, et elle était tout à fait au clair avec elle-même sur les raisons qui l’avaient poussée à choisir ces mots plutôt que d’autres.

C’est à ce moment-là que King est tombé amoureux d’elle. Parce qu’ils avaient la même vision de la poésie, et, à fortiori, de l’écriture et du travail de l’artiste.

Et si, comme dirait Nietzsche, certains “troublent leurs eaux pour les faire paraître profondes”, d’autres au contraire buchent sévère pour offrir le plus de clarté possible à leurs intentions.

Permettez-moi de conclure cette modeste introduction avec les sages paroles d’un autre poète nommé Bukowski :

En gros, ça disait que je manquais de cervelle. Et ce uniquement parce que je m’exprime avec clarté. Qu’ils aillent se faire foutre. Quand je veux crier, je crie.

Et donc, cédant à cette fameuse règle et envoyant chier au passage celle qui dit qu’un auteur ne doit jamais expliquer son œuvre, je vais éclairer ce que j’ai voulu dire, d’autant plus que visiblement, l’histoire du Poète est loin d’être claire quand on n’a aucune notion de la vie de Jim Morrison dont elle s’inspire, et passerait plutôt pour un délire à la David Lynch.

La trame

Lorsqu’il était enfant, au cours d’un trajet en voiture à travers le désert, le Poète et sa famille sont tombés sur les lieux d’un accident de voiture. Des Indiens morts ou en passe de le devenir étaient étalés partout sur le bitume.

Le Poète a fait un pacte avec le Diable : il a accepté d’échanger son âme d’enfant contre celle d’un Indien, afin que celle-ci lui offre le talent nécessaire pour connaitre la gloire.

Quelques années après, avant le début de sa carrière, le Poète est hanté par un rêve, toujours le même, où il revoit la scène de l’accident, mais il semble avoir oublié son pacte. Il prend fréquemment du LSD, qui l’ouvre à des visions lui montrant que cette scène continue à vivre en lui.

Un jour, il entend qu’il doit se rendre dans le Désert et consommer du peyotl (cactus à mescaline hallucinogène) afin de convoquer l’esprit du Diable, pour y voir plus clair.

Mais c’est sur le Sorcier qu’il tombe. Au travers de visions, celui-ci lui montre l’ensemble de sa vie comme si la chronologie n’existait plus. Son enfance, sa vie, sa mort, tout y passe.

Enfin, il lui apprend que le prix à payer pour avoir emprunté cette âme indienne est le suicide, qu’il devra commettre jeune, en le faisant passer pour une mort naturelle.

Parallèle entre le Poète et Jim Morrison et analyse de la nouvelle

Je vous incite à ouvrir la nouvelle à côté de cette analyse, afin de pouvoir vous y référer tout le long de votre lecture. Les parties étudiées, séparées par des lignes comme dans la nouvelle, sont décortiquées dans l’ordre.


Lorsqu’il avait 19 ans, Jim Morrison s’est débarrassé tout ce qu’il avait écrit : journal intime, notes de lecture, croquis, citations, poèmes, allez hop, il a tout jeté à la benne !

Mais… pourquoi ? Voilà sa version :

Peut-être, si je ne les avais pas jetés à la poubelle, n'aurais-je jamais rien écrit d'original. Je pense que si je ne m'en étais pas débarrassé, je n'aurais jamais été libre.

Démarche intéressante, qui signifie que pour être libre et faire œuvre originale en tant qu’artiste, il faut savoir dire adieu à ses influences mais aussi à ses premières tentatives qui, soyons honnête, dépassent rarement le vulgaire plagiat et les clichés rebelles de l’adolescence. On retrouve cette idée développée maintes fois sur ce blog que tuer une partie de soi signe la naissance d’un nouvel être, indépendant, prêt à créer ses propres valeurs.

Et, ouais, Jim Morrison a vraiment vécu sur le toit d’un entrepôt de Los Angeles, et c’était un fervent lecteur de Nietzsche, comme le montre le deuxième paragraphe faisant explicitement référence à Zarathoustra.


Jim Morrison faisait souvent référence aux reptiles, qu’il s’agisse de serpents ou de lézards. En tant que lecteur de Carl Gustav Jung, très au fait des symboles et des archétypes, Morrison voyait le reptile comme une représentation de l’inconscient primitif, incarnant la lutte initiatique de l’Homme, qui le pousse à se défaire de ses influences passées.

Toujours selon Jung, le reptile est aussi un antagoniste du héros, c’est pourquoi, dans The Celebration of the Lizard, chanson expérimentale de 17 minutes mélangeant plusieurs poèmes, Jim Morrison s’engage dans un trip intérieur afin d’affronter ses propres démons, incarnés par les reptiles. C’est en les intégrant en lui-même qu’il devient pour finir le Roi Lézard, à ses yeux comme à ceux du monde.

Avec tous ces éléments, on part déjà sur une bonne base, pas vrai ? De plus, étant moi-même folle de ces bestioles, et cette nouvelle prenant place au sein du Désert, c’était pas très compliqué de forcer un peu le trait. Mais ces lézards-là ont des cornes sur la tête et leur peau est rouge sang : première référence au Diable !

Les lézards incitent le Poète à regarder son rêve en face, qui n’en est en fait pas un ; entre souvenir et avenir, le premier élément quantique entre en scène. Apparemment, le Poète sait des choses sans les savoir, autrement dit, son inconscient tente de communiquer avec sa conscience, via l’interface du rêve. D’ailleurs, le Poète connait si bien le rêve qu’il a le sentiment de l’engendrer consciemment, comme pour tenter de le comprendre. C’est ce qu’il dit au sujet de la scène qui se répète : il parle de l’accident de voiture, et tente de savoir ce qu’il s’est réellement passé ce jour-là.

L’Ombre dans les ténèbres symbolise à la fois le Diable et l’inconscient du Poète.

Le passé qui continue à vivre insiste sur la notion quantique, qui sera davantage explorée plus tard. Le personnage sent qu’il est enchaîné à un passé qui conditionne son avenir, et pour cause. Il se demande qui est vraiment mort sur la route le jour de l’accident. La réponse est : lui.

L’âme de l’Indien a été échangée contre la sienne.


Jim Morrison était un grand consommateur de LSD, qui permettait selon lui de “nettoyer les portes de la perception”, selon la formule de Willam Blake (c’est de là que les Doors tirent leur nom). Dans ce passage, il s’en sert plus ou moins consciemment pour interpréter son rêve à la lumière de la transe, zone poreuse où inconscient et conscient communiquent.

La référence n’est pas fortuite.

En effet, comme je l’ai dit, Jim était un grand lecteur de Sigmund Freud et de Carl Gustav Jung, et se passionnait pour la psychanalyse et les névroses. Il est donc logique qu’il cherche ici à se soigner lui-même grâce à l’acide, dans une sorte de thérapie psychédélique personnelle.

Vient ensuite la référence à l’Éternel Retour de Nietzsche, ici conjugué avec le temps non-linéaire quantique. Nietzsche se base sur la vision de l’Univers cyclique des Stoïciens pour poser cette question : si un démon venait dire à l’Homme que son existence devait se répéter indéfiniment, sans aucune variation, quel serait le sentiment de l’Homme envers sa propre vie ? Souhaiterait-il la vivre à nouveau ?

Si l’Homme répond “oui” au démon, c’est le signe infaillible que son existence est gouvernée par la joie et la volonté de puissance. Puisque Jim Morrison menait une vie assez dionysiaque, ça reste parfaitement cohérent.

En ce qui concerne la nouvelle, l’idée pertinente ici est que l’Éternel Retour est aussi une affirmation du présent, supérieur aux autres temporalités, car c’est dans le présent que le choix, l’action, la décision prédomine.

Cela aura son importance dans la suite de l’histoire.

Enfin, Morrison étudiait bel et bien la démonologie (et s’est même marié à une sorcière Wicca), ce qui dans la nouvelle le prépare à la rencontre avec le Sorcier, même s’il ne le sait pas encore…


Le perroquet du motel est une pure invention de ma part. Enfin, pas tant que ça ! Là où je vis actuellement en Colombie, il y a bel et bien un perroquet dans la cour commune, qui se comporte exactement comme celui de la nouvelle. C’est à la fois triste et terrifiant. Le syndrome du miroir auquel je fais référence existe, c’est une maladie humaine, rare mais véridique.

Évidemment, je ne l’ai pas tué comme le fait le Poète. Pourtant, il semble bien victime d’un mauvais sort qui le force à parler dans “l’idiome du Diable” (qui pour lui est celui des Hommes).

Si on est intuitif, on sent ici un rapprochement entre le Poète et le perroquet : aucun des deux n’est vraiment dans son monde, et cette scène préfigure même le destin du Poète. Être contraint de chanter des mots qui ne signifient plus rien pour lui, et désirer la mort…


Ce passage parle de mensonges, de fantômes, de souffrance et d’auto-stoppeur mort.

Jim Morrison mentait tout le temps, dans le sens où il ne révélait jamais entièrement qui il était. Selon la personne avec qui il se trouvait, il adaptait son comportement comme un caméléon pour n’offrir à l’autre qu’une infime parcelle de lui, jamais un accès total. Si bien que personne ne savait vraiment qui il était.

Ensuite, les fantômes et la souffrance humaine préfigurent le rôle qu’il tiendra plus tard, en tant que star, voire berger du peuple pour les hippies paumés.

Enfin, l’auto-stoppeur fait référence à Riders on The Storm et ce tueur sur la route qui fait du stop pour buter les gentilles familles.


Le poème du Serpent joue sur plusieurs tableaux. Évidemment, les fans auront reconnu les paroles de The End, “ride the snake” (chevauche le serpent). Mais le truc intéressant, c’est que le Serpent est aussi le Diable, ça je crois que tout le monde est au courant, et donc c’est ici que ce personnage s’exprime pour la première fois.

Le Diable vient donc chercher le Poète en passant par le rêve, ce rêve de l’accident qui s’est produit “le long de cette route”. Jim Morrison parlait souvent de “route”, il était fan de Jack Kerouac, et j’imagine que comme beaucoup d’entre nous, la route symbolisait aussi pour lui le cheminement spirituel. Manque de bol, il n’y aucune issue possible : le Diable a placé une âme indienne dans le Poète, et celui-ci devra la lui rendre, car il ne s’agit que d’un prêt.

Mais avant d’en arriver là, il lui faudra accepter la longue chevauchée en compagnie du démon, qu’on peut ici comprendre comme l’affrontement qui se prépare entre lui et et le Diable, mais aussi comme la gloire qui l’attend, le pouvoir qu’il va avoir sur ses fans, le culte, même, que ceux-ci vont lui offrir, sans pour autant le rendre heureux…

D’autre part, en tant qu’écrivain-ayahuasquera, le Serpent signifie aussi pour moi la sagesse chamanique, à laquelle Jim Morrison croyait également, comme le prouve la façon dont il dansait sur scène, très proche de la transe, et son intérêt général pour le monde indigène.


La vérité finit par se faire jour dans l’esprit du Poète. Aidé par le LSD, le rêve sort de la nuit pour contaminer le monde réel, et le Poète se rend à l’évidence : cette scène qui le ronge existe, elle prend source dans l’enfance, lorsqu’il avait cinq ans.

Le Serpent, qui emprunte ici les atours de celui de la Bible, et donc de celui qui fait mordre dans la vérité, est comparé à l’abîme nietzschéen :

Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi.

La Connaissance signe l’arrêt de la période d’innocence, et l’avènement de la responsabilité de l’Homme sur lui-même, qui choisit volontairement, librement, de faire le Bien ou le Mal. Mais comme de juste, cette liberté amène avec elle la souffrance. En ce sens, la Connaissance est aussi un abîme…

Enfin, la dernière phrase de ce passage révèle que le Poète ne croit pas aux accidents, et donc au hasard. L’Intentionnel duquel il parle est celui du destin, ce qui ici inclut sa volonté à lui (c’est lui qui a accepté le pacte avec Satan), celle de l’âme indienne entrée en lui (on apprendra plus loin qu’elle s’est sacrifiée volontairement), et bien sûr celle du Diable.

Les deux puissances, c’est le Bien et le Mal, engagée dans un combat dont on ne sent encore que les prémisses, puisqu’il est dit que celles-ci s’échauffent…

Mais si le destin du monde et du Poète est écartelé entre les deux, rien ne prouve qu’il y aura un jour un vainqueur.


L’âme indienne s’adresse ici directement au Poète à travers le crâne du mort auquel elle a appartenu. Il s’agit d’une vision, et non plus seulement d’un rêve, puisque la vérité est arrivée jusqu’à la pleine conscience.

Son message est limpide : le Poète est appelé à prendre du peyotl (le cactus) afin d’apprendre directement depuis le savoir des Anciens, et non plus du LSD ou de ses lectures comme celles du Philosophe (qui est Nietzsche, donc, suivez s’il vous plaît). Il est dit que le monde dans lequel vit le Poète n’est pas vraiment le sien (puisqu’il est désormais habité par une âme indigène). Les danses et les chants qu’il porte en lui (et qu’il exprimera donc plus tard sur scène en devenant chanteur) hurlent pour naître.

Le Poète doit se plier à la volonté du Diable qui l’a élu et lui a transmis un pouvoir guerrier via l’âme indienne. Apparemment, celui-ci l’attend dans le Désert en vue d’un combat. Pour ce faire, il doit le convoquer en prononçant son nom (tout comme lui a été convoqué, voyez le parallèle avec la nouvelle du Journaliste).


Fatalement, le Poète se tape donc du peyotl ! Ici, je me suis servie de mon expérience des plantes de pouvoir pour évoquer cette fameuse intention, la requête que tout être humain est censé présenter aux plantes sacrées avant de les consommer dans un cadre rituel (un article sur comment ça se passe avec l’ayahuasca ici).

Mais le Poète s’en cogne, et pour cause : il considère qu’il a été appelé quand il n’avait que cinq ans, et que ce n’est pas à lui de rendre des comptes sur ses motivations, mais bel et bien au Mescalito, l’esprit du peyotl, comme le prouve la dernière phrase de ce passage : Si tu veux nettoyer ma putain de perception, c’est maintenant, Mescalito ! (notez encore la référence aux portes de la perception de Blake).


C’est là que se pointe un type qu’il n’attendait pas. En effet, ce mec blanc en costume n’est ni le Diable, ni vraisemblablement le Mescalito (pour peu qu’on sache quelle tête il a, celui-là !). Le Poète note que son regard est habité d’une flamme qui ne semble pas être sienne, et pour cause ; c’est celle du Diable.


Ce personnage lui apprend qu’il s’est “rendu maître de Celui qui Enseigne”. Attention, ici il ne s’agit pas du Diable, mais du Mescalito, auprès duquel il a appris. Eh oui, ce type, c’est le Sorcier, autre personnage des Chants du Désert, qui se trouve être inspiré de Carlos Castaneda (je vous conseille un de ces livres dans mon Top 15 des Livres sur le Chamanisme), et dont l’histoire promet une nouvelle très intéressante que je suis impatiente d’écrire…

Bref, le Poète prononce son nom afin de lui donner vie dans la conscience, de le faire “sortir de l’Ombre” de l’inconscient, référence à Jung et à son archétype de l’Ombre, partie primitive de la psyché humaine qui ne se connait pas elle-même.

Faisant ça, le Poète s’ouvre donc à sa totalité psychique, ainsi qu’à la transe, racine de l’Humanité, autorisant ses instincts et un savoir qui le dépasse (souvenez-vous, les lézards lui ont dit qu’il sait des choses sans les savoir) à se dévoiler en lui.

Le Sorcier est accepté, il peut commencer le boulot.


C’est donc le Sorcier, à la fois véhicule de la volonté du Diable dont il est le messager et représentant de l’esprit du peyotl dont il est désormais le maître, qui va produire les visions hallucinatoires dans la tête du Poète. Il s’agit d’un langage, tout comme l’ayahuasca délivre ses messages par les visions induites durant la transe. Le Poète assis face au Sorcier est donc en pleine cérémonie, et les révélations qu’il attend lui seront transmises par ce langage visionnaire, auquel il est tout compte fait déjà habitué grâce au rêve et au LSD.

Il constate que le Sorcier n’est pas lui-même, évidemment, puisqu’il est habité par deux entités. C’est tout l’intérêt du Sorcier : il manipule des pouvoirs et est manipulé par des forces à tel point qu’il devient métamorphe. Difficile de dire qui il est réellement, c’est un peu l’Homme Mystère, et c’est ce qui le rend si intriguant…


Le poème qui suit ne requiert pas des masses d’explications, si ce n’est qu’il décrit le monde des visions et la nature du Désert. Puisque le Poète est enfin au clair avec ses intentions, il a sa place dans le “vrai monde”, la matrice du réel, celui qui se cache sous la perception ordinaire, que la prise de peyotl lui a ouvert.

Pour ceux qui sont coutumiers des psychédéliques, le message sera limpide. Pour les autres, rattrapez-vous avec quelques cérémonies d’ayahuasca ou encore un voyage virtuel en compagnie de la plante !

La dernière phrase fait explicitement référence au serpent de l’ayahuasca, qui avale le psychonaute pour le faire entrer dans son monde.


Ici, on saute véritablement dans le domaine quantique de l’histoire. J’aimerais établir ce que j’entends par là, puisque je fais souvent allusion à ce monde et à ce pouvoir de la conscience sans que ce soit forcément clair pour chacun.

Le regard de l’observateur influence ce qu’il observe. La conscience possède du pouvoir sur la réalité matérielle. L’intention d’un Homme est en mesure d’imprimer sa volonté sur la vie et donc de façonner le réel et l’expérience que l’Homme en fait. Ce pouvoir s’étend aussi bien dans le futur que dans le passé.

Mais si la conscience peut influencer l’avenir comme le passé, et agir à distance dans l’espace, cela signifie que la notion d’espace-temps classique, linéaire, chronologique, est bonne à jeter à la poubelle.

L’espace-temps apparait plutôt comme un continuum où tout coexiste en même temps.

C’est ce qu’expérimente le Poète (qui en avait déjà eu un avant goût avec le rêve) grâce au Sorcier qui le balade dans ce continuum en lui montrant toute son histoire tour à tour comme si elle était déjà écoulée, en train de continuer à se produire, et déjà finie, puisqu’il lui montre aussi sa propre mort.

Bien sûr, le film d’Oliver Stone sur les Doors m’a énormément influencée ici.

Quand Jim Morrison part dans le désert avec sa nana et ses potes du groupe, ils prennent du peyotl, chantent cette magnifique chanson My Wild Love a capella, se racontent leurs peurs les plus intimes, puis, Jim finit par s’éloigner du groupe pour aller à la rencontre de sa propre mort. Il revoit le visage de l’Indien qui lui a offert son âme, et se voit dans la baignoire où il trouvera la mort (merci au réalisateur qu’est vraiment le meilleur niveau visions subliminales et subconscientes, comme il l’avait déjà prouvé avec Tueurs-nés et U-turn).

Bref, la scène de l’accident est toujours en train de se produire et d’influencer le cours de la vie du Poète.


Le Sorcier lui rappelle le pacte qu’il a signé avec le Diable, enfant : échanger son âme avec celle de l’Indien mort, et utiliser ce pouvoir pour devenir le chanteur génial qu’il s’apprête à être. Mais il lui explique que tout ça ne sera que temporaire (ce que l’enfant ignorait sans doute au moment de signer, mais que voulez-vous, on parle de Satan, là !), et qu’il devra la rendre, cette âme.

Les termes “d’enfants fous” font ici référence à la chanson The End : “All the children are insane”.


Et on en arrive donc à la conclusion logique de l’histoire. Le Sorcier lui montre sa vie entière, qui est désormais du domaine public : l’adulation dont Jim Morrison a été la proie durant sa vie et le culte qui lui sera rendu après sa mort, son alcoolisme qui l’a conduit à l’impuissance, la solitude éprouvée malgré les hordes de fans, la trahison de son propre groupe qu’a vendu les droits de Light My Fire à une compagnie de voitures pour en faire la musique d’une pub à la téloche...

Et enfin, la révélation du véritable prix à payer pour connaître cette vie : se suicider.

En faisant passer cet acte pour une mort naturelle.

Il semblerait que la lumière ait désormais été faite sur la mort de Jim. Il se serait suicidé avec un shoot d’héroïne, une overdose dans les chiottes d’un bar parisien, et ses “amis” auraient maquillé ça en crise cardiaque dans une baignoire, parce que son fournisseur de dope était mouillé jusqu’au cou dans le trafic international de la French Connection et que son père était diplomate.

Le Sorcier prévient le Poète qu’il devra obéir au Diable sans chercher à se défiler, et le Poète lui assure que crever est ce qu’il désirera le plus au monde à cet instant de son existence. Après avoir vu sa vie entière dans les visions, il sait qu’il sera totalement désabusé et écoeuré de la gloire, et c’est effectivement là où en était Morrison sur la fin : déçu du mouvement hippie, sans plus de foi dans la chanson (il commençait à publier de la poésie), en bout de course à cause de la dope et de l’alcool qui lui avaient créé des problèmes cardiaques… Ouais, on peut dire qu’il était pas fâché que toute cette comédie prenne fin !

Cela dit, dans la nouvelle, le Poète considère que son courage envers la mort ne provient pas de lui mais de l’âme guerrière indigène qui l’habite.

La pirouette finale qu’il fait au Sorcier, et donc au Diable, est de refuser de se rendre en enfer pour laisser les Indiens décider du sort de son âme quand il sera mort. Puisqu’en effet son âme n’est plus vraiment la sienne, elle revient de droit aux Indiens qui la placeront dans leur enfer à eux.

Et comme peu de Blancs ont connu ce destin, il sera peut-être le seul dans cet enfer-là, et y deviendra le roi.


Le tout dernier passage révèle simplement que le Diable ne se présente pas toujours en personne pour s’adresser aux âmes qu’il détient.

Je trouve l’idée intéressante.

Pas envie de jouer la facilité. Pas envie que les pactes signés avec Satan se ressemblent tous. Comme dans la vie réelle, le démon nous possède et s’adresse à nous via de multiples formes et même, malheureusement, via l’entremise de personnes qui vont influencer ou même déterminer le cours de notre destin.

Bref, si le Poète fait du stop pour rentrer à Los Angeles alors qu’il déteste ça, c’est parce qu’il est impatient de se mettre à écrire les chansons qui envahissent maintenant son âme.

Il est prêt à accomplir sa belle et triste destinée, et fonce à bride abattue vers… l’accomplissement de sa perdition.

 

Le Diable possède de nombreux visages, les façons dont il joue avec l’Homme en manipulant son psychisme sont aussi variées que les désirs intimes de ses proies… Parlant de désir et de jeux cruels, la nouvelle qui s’annonce creusera la tombe d’une âme hantée par l’amour dans un genre qui va brûler vos yeux aussi bien que votre imagination.

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