Carnet d’ayahuasca #11 : Onzième Cérémonie

Intention : Apaise mon cœur

Je savais bien que ça allait être difficile, étant donné ce fameux message de mon ex qui m’avait retournée, et qui m’avait plongée dans la mélancolie. C’est triste de retomber là-dedans après avoir éprouvé des choses autrement plus grandes, mais faut croire que l’esprit et le cœur humain sont ainsi faits. 

Maloca du temple de la Lune, dans les hauteurs de Cuzco, Pérou.

Dommage pourtant, je pense pas qu’il me sera donné un jour de refaire une cérémonie dans un endroit pareil. On a été au Temple de la Lune, situé sur les hauteurs de Cuzco. On a gravi la montagne à pied avant d’atterrir sur un plateau à l’herbe verte et rase, avec des ruines pas loin.

L’endroit est tellement magique que j’ai direct pris la décision de refaire une diète d’ayahuasca de deux semaines avant de rentrer en France, histoire d’avoir Wish sous la main pour prendre du San Pedro avec lui là-bas. C’est le lieu parfait pour le huachuma.  

L’endroit où on devait faire la cérémonie était une sorte de retraite, un joli jardin où chaque client disposait de sa petite baraque privée. J’ai déjà vu ce genre de repère spirituel pour gringos friqués, les alentours de Cuzco en fourmillent. C’est vrai que ça doit être agréable de venir se ressourcer dans un truc pareil, mais personnellement c’est carrément hors de mes moyens, et puis j’ai tendance à fuir les lieux où les gens “spirituels” se réunissent.

Cela dit, les personnes qui nous ont accueillis étaient adorables, l’Américaine notamment, qui avait expressément appelé Wish parce que c’est le seul chaman avec qui elle veut faire des cérémonies. Mais les deux mecs de Californie qui se trouvaient là aussi se sont montrés rudement cool. Des vieux briscards rescapés des années psychédéliques, voyez le genre. Et la maloca, putain, le truc de ouf, parquet ciré, champignons chauffants intégrés et plaids en polaire on ne peut plus moelleux.

Les effets de la plante ont mis du temps à venir. Wish m’avait donné une moindre dose, et le voyage était assez doux au début, bien que l’Américaine en chiait déjà sa mère. A peine après avoir bu, elle était déjà en mode exorciste. Elle s’était montrée effrayée avant même de boire, et dans ces cas-là, le voyage est souvent difficile. J’ai fini par m’allonger, incapable de me concentrer avec elle qui grognait et dégueulait, et je crois bien que j’ai failli m’endormir en écoutant la flûte.

Et puis je sais pas, mais ça a vrillé. Mal de ventre, pensées tristes. Nausée et tremblements. Faiblesse. Ça a fini en pleurs. Penser à mon ex, à cette part de moi à qui je devais dire adieu…

Intérieur de la somptueuse maloca du temple de la Lune, Cuzco.

C’est étrange, mais plonger dans ma douleur semblait me relier à toute la tristesse humaine, et à celle de Travis aussi bien sûr. J’avais l’impression de pleurer pas seulement pour moi, mais pour l’humanité entière, pour toute cette idiote de condition humaine.

Tous ces combats qu’on devait sans cesse gagner, toutes ces luttes qu’on devait mener, ces déchirements, ces renaissances, ce cycle éternel d’évolution qui nous laissait pas un poil de sec. Cet affrontement sans trêve avec soi-même, et les autres…

Je me suis dit que c’était débile. Que Wish ne devait jamais pleurer pour de telles conneries. J’arrivais pas à l’imaginer pleurer, en fait. 

Il m’a caressé le visage avec son eau parfumée pendant que je chialais, et ça m’a aidé à me calmer. Et puis il s’est allumé un mapacho et il a commencé à parler, en mode un peu prédicateur, en plus doux, mais avec cette voix profonde qu’il prend parfois, comme s’il invoquait quelque chose. Il a parlé des enfants qui étaient dans le besoin, là-bas dans son village dans la jungle, et d’amour aussi, je crois.

A mesure qu’il me racontait toutes ces choses tristes, son visage se plissait et tremblait. J’ai mis du temps à comprendre qu’il était en train de pleurer. J’en croyais pas mes yeux ! Alors que je venais tout juste d’y penser…

Je me souviens que j’ai beaucoup regardé le plafond, les tableaux, le visage de Wish. Cette cérémonie était bizarre. Normalement je garde les yeux toujours fermés durant une session, mais là il me semblait devoir les ouvrir. Je me sentais comme si j’avais pris des champignons, en fait, et les effets visuels étaient très proches de cette transe-là. Le visage de Wish paraissait se fondre dans le toit en bois, les drapeaux, les tableaux, comme si tous ces éléments n’étaient qu’une seule et même chose…

Mon chaman au lendemain de la cérémonie d’ayahuasca.

L’Américaine, après être redescendue de ses propres malheurs, a senti que j’étais pas bien. On était tous très tristes cette nuit-là visiblement. L’ayahuasca nous avait connectés au territoire du tragique. Elle m’a gentiment demandé ce qui allait pas, et j’ai encore un peu pleuré en lui expliquant ce qui me travaillait. En lui demandant pourquoi c’était si dur d’abandonner une partie de soi, les gens qu’on a aimés, avec qui on a partagé un bout de chemin, alors que c’est juste normal, que c’est comme ça qu’on grandit.

Elle s’est finalement avérée très marrante en me parlant de ses ex à elle. Mais faut dire que c’est le genre de bonne femme avec qui je m’entends toujours bien. Décomplexée, extravertie, brutalement honnête.

Le lendemain matin, on s’est assis tous les trois autour du feu. On se sentait bien les uns avec les autres. Wish s’est roulé son joint et l’Américaine m’a fait tirer une carte du jeu qu’elle a créé, une sorte d’oracle, voyez ? Cette carte parlait de création, évidemment. Ce genre de synchronicités me surprend même plus, à la longue. Ça m’est arrivé trop de fois pour que je doute encore de l’existence d’un tel truc.

Donc, la carte évoquait clairement le fait de poser son intention au monde, et de la visualiser comme déjà opérante. J’ai rigolé en lui disant à quel point c’était fou, à quel point ça entrait en résonance avec le point de ma vie où j’en étais, là, maintenant.

Elle m’a regardée droit dans les yeux, avec cet air maternel qu’elle avait depuis la veille avec moi, et elle m’a dit : Tu es déjà écrivain. Tout ce qu’il te reste à faire, maintenant, c’est de réaliser que c’est vrai, et d’y croire encore plus fort.

Carnet d’ayahuasca #12

Carnet d’ayahuasca #1

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés

 

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