Carnet d’ayahuasca #4 : Quatrième Cérémonie

Intention : Fais-moi visiter le monde d’en-bas

Une peinture d’a(rt)yahuasca qui représente la jungle de nuit, réalisée par mon chaman Wish.

C’était sans doute pas une bonne idée. Ce livre de Michael Harner m’influence trop je crois, et aussi le fait de vouloir coller au plus près de Borderline, mais cependant je suis pas convaincue que le problème vienne de l’intention elle-même. D’une manière générale, j’avais été assez dispersée toute la journée, à parler avec Wish et l’Espagnole, qui va rester faire une diète d’une semaine ici avec nous, incapable de me reposer ou me recentrer cinq minutes. Et j’en étais toujours là avant de boire.

Je savais que c’était pas le bon état d’esprit. En plus, j’étais fatiguée et je crevais littéralement de faim, vu que ça fait une semaine que je bouffe très peu… 

Après avoir bu ma tasse pleine à ras bord, j’ai senti que je piquais du nez à plusieurs reprises. Je crois même que j’ai commencé à rêver, puisqu’à un moment je me suis dit : Attends, ces images c’est pas des visions, tu sombres dans le sommeil, là. Ah, et j’avais des remontées acides brûlantes, aussi, pour ne rien arranger.

Bref, fatalement je me suis allongée, tout en sachant pertinemment que c’était une idée de merde, surtout au début d’un trip. Cette position, j’ignore pourquoi, donne une force incroyable aux visions, qui te clouent sur place, et c’est très difficile de remonter la pente pour te refoutre en selle une fois que t’es assailli par terre, malmené entre les vagues de la transe tel un misérable caillou au fond de l’océan.

Je crois qu’en réalité, c’est une question de posture mentale. Si t’es capable, malgré la faim et la fatigue, de rester assis, droit, concentré, préparé pour l'avalanche, alors la plante a moins d’emprise sur toi. Si en revanche tu te positionnes direct comme un vermisseau faible et pathétique épuisé par la life, c’est clair qu’elle en profite pour te fouetter alors que t’es déjà au sol. Question d’honneur, de respect de soi, j’imagine.

Ce soir-là, j’étais en mode lamentable, pas guerrière pour deux sous. Tant pis pour ma gueule. 

Peinture de Wish où on voit un chaman en tenue de cérémonie shipibo face à un esprit de la selva.

Donc quand c’est venu, ça s’est rapidement transformé en quelque chose de très inconfortable, pour pas dire insupportable. Je crois avoir vu un trou noir dans l’eau au début, comme un tunnel sous-marin, quelque chose qui aspire la vie au fond de lui. Mais j’ai l’impression que j’ai tendance à projeter en ce moment, à calquer mes pensées sur les visions, alors j’ignore si ça venait de l’ayahuasca ou de moi.

Ensuite c’est les visions habituelles qu’ont déboulé, mais ce coup-ci elles étaient d’un vert électrique qui faisait mal.

De toute façon, tout me faisait mal. Mon estomac creux me lançait d’une façon atroce, ma trachée était en combustion, mais je me sentais pas de me redresser, parce que j’étais trop faible. J’avais des sortes de décharges de froid électrique qui me faisaient frissonner violemment, par à coup. J’étais crispée et recroquevillée sous la couette, le cerveau littéralement envahi par ces lianes vertes, organiques et vibrantes comme des anguilles branchées sur 10 000 volts.

Inutile de décrire par le menu toutes ces choses moches que j’ai traversées, ça tournerait en rond. Donc pour conclure là-dessus, ça a duré très longtemps. Quand j’ai cru que la plante avait plié bagage pour me foutre la paix après m’avoir bien essorée en tous sens, j’ai réussi à me relever pour fumer tant bien que mal un mapacho, en me demandant à quoi rimait cette putain de session.

Cela dit, le monde d’en-bas n’est pas censé être un lieu facile. Dans le chamanisme, il y a trois mondes, qui sont des plans spirituels. Celui d’en-bas, où vivent les esprits animaux, les plantes maîtresses et les anciens chamans. Celui du milieu, notre monde ordinaire, animé de luttes de pouvoir incessantes. Et celui d’en-haut, éthéré, lumineux, où se trouvent les esprits avancés, spécialisés, souvent disposés à apporter leur aide. 

Peinture visionnaire de la jungle, faite par Wish.

En refermant les yeux je me suis aperçue que le mal-être et les visions étaient toujours là. J’étais infestée, et ça m'a poursuivie jusqu’à la fin, même si entre-deux j’ai quand même trouvé un truc qui m’a permis d’évacuer le pire. J’ai poussé un soufflement/sifflement à la manière de Wish, à deux reprises, et ensuite j’ai relevé la tête comme si je sortais enfin d’un long, très long cauchemar. Un voyage qui aurait duré effroyablement longtemps.

A un moment Wish a fait vibrer un de ces bols tibétains, et ça m’a fait me tordre en deux, tellement le son et la vibration me rentraient dedans. Ça me touchait vraiment physiquement. J’ai trouvé ça très intéressant.

Le problème c’est que l’Espagnole continuait à se faire soigner. Comme beaucoup d’Occidentaux, elle avait apparemment de lourds problèmes émotionnels, et pleurait et gémissait sans fin. C’était très dur pour tout le monde.

J'avais l'impression d’absorber les sales énergies que Wish évacuait d’elle. En cérémonie d’ayahuasca, que tu le veuilles ou non, tu reçois de plein fouet ce que traversent les autres. Et je me demande si, au fond, tout dans cette difficile cérémonie n’est pas venu de là...

Carnet d’ayahuasca #5

Carnet d’ayahuasca #1

Toutes les peintures de cet article sont de Wish.

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés

 

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