Le Coin des Desperados

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Carnet d’ayahuasca #6 : Sixième Cérémonie

Intention : Dis-moi ce que je dois savoir, en ce qui concerne mon futur

Verre plein à ras bord encore une fois, je devrais peut-être songer à en demander moins. Beaucoup de temps pour que ça monte cette fois-ci encore, assez éprouvant pour les nerfs. J’étais accostée près de Wish contre le mur du fond quand c’est finalement arrivé.

J’étais très satisfaite au début, parce que j’ai enfin vu ces fameux serpents de la medicina, tournoyer en spirale dans une vision vraiment belle, comme s’ils aspiraient mon âme en plein cœur de la matrice.

Dans le chamanisme amazonien, on a coutume de dire que l’ayahuasca commence son vrai boulot avec toi quand le serpent qui la symbolise t’a avalé. Comme si elle devait tuer ton moi physique pour te faire renaître au niveau spirituel, de l’autre côté, dans une autre dimension. Ou encore que tu devais abandonner tes vieux schémas de pensée et de comportement pour évoluer.

Dans toutes les traditions revient cette idée de mort symbolique, étape fondamentale pour celui qui veut devenir un Homme, ou un guerrier. C’est un concept qui m’est très familier, mais là en l’occurrence les serpents ne m’ont rien fait, c’était juste génial d’être entraînée en flottant dans leur tourbillon lumineux. J’étais si heureuse de les voir enfin ! Ça n'a pas duré si longtemps que ça, mais c’est pas grave, le fait de les avoir vus me comblait entièrement. 

Ensuite une drôle de chose est descendue du ciel, à mi-chemin entre le vaisseau spatial et le pachyderme extraterrestre. Un énorme truc gris, lent et super imposant. Il y aurait peut-être eu de quoi prendre peur, mais je sais pas, encore une fois j’étais ravie de voir ce gros truc. Je me demandais s’il était en relation avec mon futur ou celui de l’humanité. S’il incarnait quelque chose en rapport avec mon intention. Une sombre prescience, une ombre qui va recouvrir mon monde, un présage peut-être ? Je le trouvais étrangement beau, presque touchant. J’aurais voulu qu’il s’attarde plus longtemps, qu’il mette plus de temps à atterrir, pour avoir le temps de comprendre. Mais il s’est dissipé en touchant terre.

Ensuite, les visions se sont effacées, et j’ai cru que c’était terminé. Ça me semblait étrange, étant donné la dose que je m’étais envoyée, mais je me suis naïvement dit que je commençais à m’habituer et que c’était pour ça que je résistais bien. Je savais pourtant que les indigènes n’ont besoin que de très peu pour décoller, et que c’est nous les gringos qui devons prendre une dose de cheval pour parvenir à quelque chose.

Il s’est écoulé un temps remarquablement long avant que les réjouissances reprennent. J’étais déjà très fatiguée et en fait, depuis le début, j’avais pas tellement envie d’avoir des visions, faut bien le reconnaître. Tout ça commence à devenir très éprouvant. Alors j’étais tranquillement allongée, savourant la redescente, et je me suis même peut-être un peu endormie, quand, à cause des icaros que Wish chantait à l’Espagnole, les visions sont revenues. Les vertes électriques que j’ai de plus en plus de mal à supporter.

Il est à noter d’ailleurs que j’essaye de plus en plus souvent de les contrôler, et qu'il m'arrive d’y parvenir. De les faire reculer pour avoir accès à autre type de visions, plus réalistes dans un sens, avec des formes qui ont une signification pour moi, et qui sont bien moins fatigantes.

Bon, ce coup-ci, ça s’est très vite emballé, sans possibilité de maîtrise. C’est cette putain de station allongée aussi ! Même épuisé au dernier stade, faudrait jamais se laisser aller à ça. Jamais. Quand les visions arrivent, lève-toi et affronte, nom d’un chien, va falloir que je me le répète en boucle je crois. Que j'arrête de faire ma feignasse.

Gros problème de ventre, encore une fois, probablement parce que j’avais trop bouffé le midi. J’ai dû patienter le plus possible avant que ça se calme un peu pour aller me vider aux chiottes plusieurs fois. Et j’ai vomi trois trucs différents : Au début, flots de dégueuli classique, ayahuasca et eau, et quelques morceaux de bouffe. Ensuite, bile d’une acidité brûlante et intarissable. Enfin, mousse épaisse commune aux animaux atteints de rage. Ouais.

Wish a bien vu que j’en pouvais plus. Je me tordais dans tous les sens, m’agitais, gémissais, soupirais en espérant que ces putains de visions dont je voulais plus me lâchent la grappe ! Il m’a prise contre lui, le dos contre son torse, et petit à petit a réussi à m’apaiser. 

Il faut que je change d’attitude face à la plante. C’est sans doute normal de commencer à montrer certains signes de faiblesse, mais la vérité, c’est que c’est encore pire quand je me montre pas assez forte et courageuse face à elle. Ça dure et ça dure, ça fait mal, et elle refuse de me lâcher, même quand je l’implore. Il va donc falloir reprendre les rênes, se remettre en selle convenablement, et changer résolument d’attitude. Être bien plus vaillante que ça.

Après tout je suis ici parce que je l’ai voulu, personne ne m’impose rien. C’est dur mais personne m’a dit que ce serait facile, et cette conduite lâche et fuyante n’est pas digne. Je regretterai sans doute plus tard, une fois rentrée, de ne pas avoir pris mon courage à deux mains pour vivre jusqu’au bout cette histoire de malade.

Ça n’a pas fini tard, cette fois-ci non plus, et pourtant aujourd’hui j’étais en chute de tension permanente et intensive. Y a que vers 16h30 que j’ai réussi à me ressaisir pour aller prendre ma douche et émerger de ce putain de brouillard. 

Je sais pas si ça vient du manque de bouffe ou de la fréquence des cérémonies ou encore des nuits presque blanches à répétition, et au fond je m’en tape.

Tant pis, je ferai le truc jusqu’au bout de toute manière, et mon corps a bien intérêt à suivre.

Carnet d’ayahuasca #7

Carnet d’ayahuasca #1

Toutes les peintures de cet article sont de Wish.

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés


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