Carnet d’ayahuasca #7 : Septième Cérémonie

Intention : Fais-moi voir l’infini

L’intention peut paraître idiote, mais j’en pouvais vraiment plus de me faire essorer, et j’avais l’espoir que cette fois-ci la plante me permettrait d’accéder aux secrets de l’infini comme elle l’avait fait plusieurs fois par le passé.

Ça n'est pas arrivé. J’ai peut-être moins souffert que les dernières fois, et c’était sans doute dû au fait que j’étais seule avec Wish. Les cérémonies sont quand même différentes quand on est seul à seul. L’Espagnole avait fini sa diète et s’était barrée, et y avait pas de Ruskofs ou d’autres gringos novices pour nous accompagner. Du coup, personne pour péter le délire à coup d’exorcisme, ce qui arrive quasi immanquablement chaque fois qu’y a des petits nouveaux.

Mais ça n’a pas été non plus le genre de voyage astral que j’affectionne tant. 

Je me sentais pourtant bien disposée, mais cette faiblesse que je ressens depuis plusieurs jours semble cependant prendre de l’ampleur. Je pense que c’est ce qui cause les difficultés de chaque cérémonie.

L’ayahuasca doit être en train de faire émerger quelque chose, c’est pas possible autrement. Et moi qui me suis vantée d’être au-dessus des ballots de gringos avec leurs problèmes émotionnels et existentiels bidons, je pense que je suis en plein dedans, même si ça veut pas encore montrer son vrai visage. C’est en train de se réveiller. Ça s’apprête à se faire connaître au corps, et à la conscience. Quelle merde qu’il faille en passer par là !

J’en ai vraiment rien à foutre des problèmes que je me trimballe, moi je veux juste explorer la conscience pour comprendre le monde d’une autre façon… Mais j’imagine que l’un ne va pas sans l’autre. Avant d’avoir une chance d’aller plus haut, faut nettoyer les souterrains. On ne peut sans doute pas avoir accès aux niveaux plus élevés de la réalité sans accepter d’abord de regarder véritablement en soi.

J’ai une vague idée de ce dont il peut s’agir. Des gens du passé. Des émotions refoulées. Des trucs mal digérés. Fait chier, putain…

Pas grand-chose à rapporter, en fait. Au tout début, y a eu comme un soleil en révolution, ou un trou noir avec de la lumière rouge-orangée autour. J’aurais tout donné pour continuer à vivre dans cette vision, mais la plante ne m’accorde jamais de stationner longtemps dans ce type de flash réaliste.

Ensuite de nouveau ce vert insupportable… A ce stade, j’aurais vraiment besoin de comprendre. Une telle puissance déployée dans ma tête et dans mon corps, mais sans savoir de quoi il s’agit, ça devient vraiment trop. Ça doit être ces sales émotions qui me parasitent en sourdine. L’ayahuasca me montre à quel point elles m’étranglent et m’envahissent sans que je le sache. Mais pour le moment, je me sens pas assez forte pour les maîtriser ou alors les accepter.

La phase la plus intéressante de cette cérémonie réside dans ma discussion avec Wish. Je lui ai demandé pourquoi c’était si dur pour moi en ce moment.

Wish, mon chaman shipibo, avant une virée en pirogue en Amazonie, au Pérou.

- La plante est en toi désormais. Son énergie est à l’intérieur, et l’important maintenant c’est de renforcer ton corps pour accéder à un stade supérieur, où tu comprendras ce qui arrive. Tu as reçu son énergie, et la mienne aussi d’ailleurs. En tant que maître à élève on est liés, tu vois. Tu arriveras là où tu veux aller, la plante va t’y emmener, mais tu dois renforcer ton corps. Ensuite tu apprendras à chanter toi aussi.

Il m’a dit plein d’autres choses dont j’arrive pas à me souvenir. J’ignore pourquoi c’est si difficile de rapporter ici ses paroles, alors que je les écoute avec tout mon cœur. Quand on est dans cette phase où les visions cessent mais que la transe est encore présente, on se croirait dans une autre dimension. On se parle beaucoup avec Wish, et à vrai dire on dirait presque que c’est de la télépathie. Les choses qu’il dit résonnent en moi comme si je comprenais tout, comme si je savais déjà tout, alors qu’il me sort parfois des trucs super alambiqués.

On se marre comme si on partageait un secret. On finit même pas nos phrases, des fois, parce que c’est pas la peine. On se capte, quoi, et ça nous faite rire encore plus. Et quand on fume en silence, la communication continue sans nous.

Et puis, à la fin des cérémonies, il chante toujours plusieurs chansons à la guitare. Vu qu’elles sont en espagnol, c’est cool pour moi parce que je comprends tout. Des mots simples. Mais qui possèdent une force de vérité décuplée par les restes de transe.

Mais le lendemain matin, j’ai presque tout oublié, comme si ce qui se passe pendant la nuit appartenait à une autre dimension à laquelle j’ai plus accès quand ma conscience ordinaire a repris le dessus.

Carnet d’ayahuasca #8

Carnet d’ayahuasca #1

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés

 

Précédent
Précédent

Leçons d’Errance : Ce que le Road Trip Solitaire change en Toi

Suivant
Suivant

Carnet de Route #7 : Dix-Septième Jour