Le Coin des Desperados

View Original

Carnet d’ayahuasca #9 : Neuvième Cérémonie

Intention : Fais-moi voir le huitième niveau de la conscience

Grâce à cette poudre du naturopathe, j’avais une patate incroyable. J’ai clopé comme une malade toute la journée, parce que j’étais à donf, tout simplement. Mon ventre allait mieux, et j’étais vraiment impatiente de retrouver la plante. Il me semble que je pouvais sentir que ça allait être bien, mais j’aurais jamais pu deviner à quel point.

Il y avait un couple de Sri Lankais avec nous, pour qui c’était la première fois, tous les deux très peace et très beaux, avec une âme lumineuse. J’étais ravie qu’ils fassent partie de l’équipage.

Wish m’a filé un grand verre, comme toujours, et c’est venu au bout d’une demi-heure. J’étais postée le dos contre le mur, assise sur ma couette repliée. J’avais pas froid, et le fait d’avoir pris le soleil toute la journée m’avait certainement réchauffé les os aussi, de l’intérieur. Je sentais une force, une sorte de structure inébranlable en moi, comme si j’étais faite de roc. Assise bien droite, la tête bien dans l’axe, l’esprit à la fois posé et très concentré. Et je tenais mon intention bien claire dans mon cœur.

J’ai médité, en respirant profondément. Cette attente me semblait s’y prêter.

Quand les visions se sont ouvertes, mon mental n’a pas dévié d’un iota. Je suis restée très, très longtemps comme ça, à traverser les visions, en répétant mon intention de temps à autre, comme si je fendais le monde de la plante, tel un navire immense, insubmersible. Je ne subissais plus. Et même si j’avais un peu mal au ventre, c’était pas ça qu’allait me déconcentrer. Rien à foutre, je me disais, aie mal, souffre, mais tu ne me feras pas dériver cette fois.

Après un temps remarquablement long au sein de ce nouveau pouvoir, je me suis dit que ça ne suffisait pas de juste répéter en boucle mon intention. Le huitième niveau de conscience est celui du monde quantique, créateur, où l’être est en mesure de s’adresser à l’univers, d’appeler à lui le futur qu’il désire, comme s’il parlait à son moi potentiel et l’autorisait à exister là, maintenant. 

Alors, j’ai fait jaillir mon intention. Je l'avais déjà fait en face de la montagne durant l’après-midi, et j’ai réitéré. 

Je veux vivre de mon livre. Je veux consacrer ma vie entière à réaliser quelque chose qui ait un sens pour moi. Je veux parler de Travis, encore et encore, parce que son histoire est magnifique et qu’elle apportera, à chaque personne qui la lira, quelque chose au fond de son cœur. Elle est capable d’éveiller le sens de la révolte et de la beauté de l’existence. Et parce que c’est mon destin, et que je le sais depuis toujours. Raconter cette histoire est la source d’un bien-être intense pour moi, parce que j’adore mon personnage. Voilà ce que je veux.

J’ai aussi tenté de me visualiser comme si tout ça existait déjà. Moi en train de parler de mon livre devant des tas de gens, comme une sorte de conférence. Wish m’avait d’ailleurs dit qu’il avait eu une vision de moi comme ça. Moi en train de signer des livres. Moi en train d’écrire, heureuse comme tout. 

La suite de la cérémonie est plus difficilement narrable. Dur de dénouer la chronologie exacte des évènements. J’ai tout de même envie de dire tout de suite que j’ai vomi qu’une fois. Je sentais bien, d’ailleurs, depuis le début, que j’allais pas gerber autant que durant les autres cérémonies.

Y a que quand la plante s’est mise en mode passation de pouvoir qu’il a fallu à un moment évacuer le trop plein d’énergie qu’elle me transmettait. J’ai grogné, j’ai tremblé, je me suis secouée, mise dans toutes les positions possibles, j’ai senti les décharges me faire vibrer. J’avais brutalement mal à la tête, au front, pile-poil au niveau du troisième œil, comme si je recevais par là quelque chose de très puissant. J’ai porté les mains dessus, de nouveau, en appuyant. J’ignore ce que ce geste signifie, et pourquoi j’ai besoin de l’accomplir. Peut-être pour sceller en moi ce que je reçois, lui apporter une sorte de concours…

Et à un moment j’ai vomi, brutalement, pas très longtemps, et c’était tout pour la nuit. A la fin de ça, j’étais à genoux, le front contre le matelas, à me dire qu’il fallait que j’utilise beaucoup plus mon corps, avec du yoga, de la danse, du taff dans la jungle.

J’ai beaucoup pensé à mon livre, d’une façon tendre, émerveillée, pleine d’amour. 

J’ai pensé à ma famille, à ma mère avec qui j’avais été si bête avant de partir, et ça m’a fait secouer la tête, un petit rictus aux lèvres, en réalisant à quel point tout ça était stupide.

J’ai pensé à Wish qui chantait d’une façon si aérienne, si pure. Je me suis rendue compte, vraiment, qu’il ne chantait pas de la même façon quand l’ambiance était calme et concentrée comme ça. Ce couple était incroyable, ils ne vomissaient pas, le mec avait comme disparu, et la fille respirait d’une belle façon, pleine de force. On était bien loin de l’Espagnole qui passait son temps à gémir, à se plaindre, et à appeler Wish pour qu’il s'occupe d’elle.

On était tous très centrés, et les icaros s’en ressentaient. C’était apaisant, peace, et ça accompagnait à merveille cette cérémonie de dingue que j’étais en train de vivre. D’ailleurs j’arrêtais pas de me répéter à quel point tout ça était incroyable. Incroyable. C’est le mot de cette cérémonie. Il ne s’agissait pas tant des visions elles-mêmes (bien qu’elles soient d’une nature très élevée, rayonnantes), que de tout ce que je comprenais, ressentais, éprouvais. Pour la première fois je captais enfin les messages de la plante.

Il y a eu un moment où Wish a cessé de chanter, et où j’ai senti l'ayahuasca dans tout mon corps. Mon ventre, mes pieds, mes jambes, mon visage. Et puis c’est comme si mon corps avait disparu.

Cette dimension-là est peut-être la plus stupéfiante de l’ayahuasca. Quand les icaros envoient du lourd, te dirigent et t’entraînent, la transe ressemble à une cavalcade fiévreuse, une chevauchée de l’univers, un vrai voyage. Mais quand la salle plonge dans le silence, la plante devient quelque chose de terriblement organique, qui circule sous ta peau et électrise ton cerveau, tout en te reliant aux esprits des autres participants d’une façon qu’on ne peut que qualifier de télépathique. C’est comme d’avoir perdu son corps, d’être devenu une conscience pure, et de batifoler avec celle des autres dans un lieu abstrait de l’espace-temps.

On se marre souvent, Wish et moi, dans ces cas-là, sans rien se dire, parce qu’on communique selon d'autres modalités, qui se passent du langage pour exister.

J’ai alors tourné mon attention vers le couple, et j’ai senti leurs esprits, ou plutôt leurs âmes. Ces deux-là étaient fondamentalement purs, ce qui est très rare. Je l’avais vu dans leurs grands yeux, humbles et émerveillés, avant le début de la cérémonie, et là, j’en avais confirmation. J’étais aussi très impressionnée par leur résistance. Pour une première fois, c’était incroyable.

Et puis ça a décru petit à petit, et c’est pas remonté cette fois. J’avais les yeux ouverts dans le noir, n’en revenant pas de ce que je venais de vivre. Je regardais le profil de Wish. Je regardais la fenêtre. Je savais que je venais de vivre un truc incroyable, même si en l’écrivant ici je me rends compte qu’on ne voit pas trop pourquoi c’était si ouf. En le vivant je me disais d’ailleurs, quand mon esprit arrivait parfois à mentaliser mes idées, que ceci ne pourrait pas être rapporté convenablement. J’envisageais même d’écrire : Neuvième cérémonie : Il n’y a pas de mots.

Au petit matin j’ai beaucoup parlé avec le couple, et je me suis aperçue que j’en savais pas mal sur l’ayahuasca, tout compte fait. Expliquer les choses à d’autres, ça permet de faire le point sur ce qu’on a retenu. Et j’ai aussi appris d’autres trucs, quand les jeunes ont interrogé Wish au sujet de leurs visions (je servais de traductrice, eux ne parlant pas espagnol, Wish ne parlant pas anglais) : Le renard, que la jeune fille avait vu, est un guide tranquille qui montre le chemin, sans stress, en mode cool. Et les yeux immenses qui t’observent par-delà la transe (vision du jeune mec) sont ceux de l’univers qui éveille ton troisième œil.

Carnet d’ayahuasca #10

Carnet d’ayahuasca #1

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés


See this gallery in the original post