Le Coin des Desperados

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Carnet d’ayahuasca #Pause : Pause entre deux Diètes

De Cuzco à San Francisco

Pisac

J’ai passé une semaine à Pisac, juste en face de Taray où j’ai fait ma diète d’ayahuasca, avant qu’on parte pour San Francisco avec Wish. C’est son village natal, une communauté Shipibo sur les rives de l’Ucayali, près de Pucallpa, en Amazonie. Ça m'a fait bizarre de remettre les pieds ici, dix ans après mon premier voyage solo. Wish habitait là avant, c’est ici-même que je l’ai rencontré, dans les mêmes circonstances que Travis dans Borderline.

En me baladant dans les ruelles pavées de ce joli petit village andin, j’avais à la fois l’impression d’être sur les traces de mon personnage, et à la fois celle de pouvoir croiser la Zoë du passé, ignorant qu’elle allait un jour écrire sur ce qui lui arriverait ici.

Posée dans un café surplombant la place du marché, je regardais les ruines sur la montagne, et je voyais Travis se diriger vers ce chaman sans le savoir, à fumer ses clopes sur un muret écroulé. Je suis repassée devant le bar où Wish avait joué de la guitare ce soir-là. Alfredo l’avait vendu depuis longtemps.

Pour marquer le coup, j’ai laissé un exemplaire de mon livre, assorti d’une dédicace de circonstance, dans un café book exchange. Vu le nombre de gens qui viennent spécialement ici pour prendre de l’ayahuasca avec les néo-chamans qui pullulent, et les voyageurs qui s’entrecroisent en traversant toute l’Amérique Latine, y a de fortes chances qu’il tombe entre de bonnes mains. 

Une petite pause après un mois intensif de prise d’ayahuasca faisait du bien. Je me levais aux aurores (ouais, depuis que je suis arrivée, je me suis pas vraiment faite à l’heure locale : je me lève vers 4h30 du mat. Mais vu que les gens d’ici ont coutume de commencer la journée super tôt, c’est pas vraiment dérangeant), et je crapahutais dans les ruelles et les champs en regardant le soleil en train de se lever, et la lumière magnifique inonder peu à peu la vallée.

La jungle, ce serait différent comme climat, alors j’avais intérêt d’en profiter.

C’était marrant de se dire que j’allais faire exactement le même cheminement que Travis. D’avoir écrit son histoire avant de tracer la mienne. Le pire, c’est que c’était même pas prévu.

Mais y se trouve que Wish projetait d’aller dans son village dans la jungle pile-poil à cette époque. Je suis bien tombée, quoi. 

Lima

Après ces quelques jours de détente, Wish et moi on s’est embarqués pour trois jours de voyage à travers le Pérou. On a pris un taxi jusqu’à Cuzco, et de là on a chopé un bus pour Lima. Vingt-quatre heures de trajet. Vu qu’on dort jamais bien dans ces trucs-là, la nuit suivante on est restés à Lima, dans le quartier de Barranco, sans doute le plus cool de la capitale.

Au bord de l’océan, le street art y va à fond : artesanos qui vendent leur bijoux en macramé, musiciens, danseurs, graffeurs, c’est aussi le haut lieu de rendez-vous de la jet set locale, mais ça fait plutôt bon ménage, et les bars sont sympas comme tout.

Wish m’a raconté quelques histoires de l’époque où il vivait ici, à la rue, quand il avait la vingtaine. Beaucoup de gens l’ont reconnus, d’ailleurs. On dirait qu’il est inoubliable, n’importe où qu’il aille. C’était franchement cool comme soirée.

Le lendemain, galère de bus pour le départ à Pucallpa. On devait partir vers 13h, il était 18h quand on a finalement décollé. L’attente a été un peu reloue, il faisait une chaleur de mort ce jour-là, on s’était posés au parc en face de l’agence de bus. J’ai bouffé une glace pendant Wish jouait de la flûte et du didgeridoo.

Mais le bus déconnait et on a dû en changer vers 20h avant de finalement réussir à quitter Lima. Ça décalait pas mal l’heure de notre arrivée le lendemain, mais c’était marrant toutes ces conneries, au fond, et on s’est fendu la poire comme des dégénérés rendus hystériques par l’accumulation de la malchance.

J’ai reconnu des bleds par lesquels j’étais passée dix ans en arrière. C’est fou ce que ça peut faire bizarre. Je me rappelais encore de ce terminal de bus où on a fait une pause pour pisser. La nuit que j’avais passée dans un hôtel tout chelou. Cette folie des bus que ça avait été pendant une semaine, quand j’avais quitté Pisac pour me rendre à Pucallpa, où j’avais ensuite pris ce cargo, dix jours de voyage en pleine jungle sans toucher terre, pour arriver à Iquitos…

Le passé et le présent semblent parfois s'interpénétrer. Et le futur aussi, en fait. Ce serait presque flippant, par moment.

On est arrivés à Pucallpa le lendemain vers 16h. Moto taxi jusqu’à Yarinacocha, sur les rives du fleuve, où on s’est accordé le plaisir d’une bière (nan, quatre plutôt, et le format magnum). Il faisait une chaleur démentielle, mais j’adorais ça !

Putain, j’arrivais pas à croire que j’étais aux portes de la jungle pour aller dièter l’ayahuasca avec Wish, exactement comme Travis ! Ce bled, Yarinacocha, c’est celui où débarque Travis au tout début du Tome 1. Encore une fois, je pouvais presque suivre ses traces…

Yarinacocha

Bien beurrés après nos bières, on s’en est pris encore deux à emporter avant de choper un moto taxi pour se rendre enfin à San Francisco (ouais, à la différence de Borderline, désormais le bled de Wish est accessible par une piste, et non uniquement en pirogue).

Le soleil était en train de se coucher. Ce trajet m’a bouleversée. L’odeur de la végétation de chaque côté de la piste, le fleuve, le chant de la selva, la beauté de la lumière rasante… Et cette sensation d’aventure et de liberté…

Il faisait nuit quand on est arrivés au village. Vraiment nuit noire, et puis j’étais raide, alors j’ai à peine entrevu l’endroit où j’allais vivre. Mais j’ai rarement été aussi heureuse au plus profond de mon cœur. 

San Francisco

Carnet d’ayahuasca #14

Carnet d’ayahuasca #1

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés


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