El Diario Latino #6 : The End

Iquitos, Pérou : Jour 131

De Villa de Leyva à Iquitos

Ceci est le dernier Diario Latino que vous lirez. C’est devenu impossible pour moi de le tenir régulièrement.

Il m’est arrivé trop de choses. Trop de rencontres, trop de bouleversements, trop d’évènements que je me sens incapable de décrire, et que j’ai plus envie de partager. Parce que ça les vide de leur essence et que ça n’appartient qu’à moi. Et puis, il est hors de question de me couper de ce que je vis, ne serait-ce qu’une seconde, pour prendre le temps de le rapporter ici. Sans blague, vous me voyez refuser l’invitation d’un Anglais badass à se déchirer la gueule dans un bar miteux ou encore décliner un tour en bateau pour voir les dauphins au coucher du soleil parce que, nan, désolée, j’ai du retard dans mon carnet de bord, ce soir faut que j’écrive ? J’aimerais bien voir ça, tiens !

Et se raconter à soi-même sa propre histoire alors qu’elle est en train de s’écrire… A quoi bon ?

Depuis un moment, je me disais qu’être connectée freinait l’immersion et l’assimilation de ce voyage. J’en venais à regretter l’époque de mon premier trip, pas loin de 15 ans en arrière, quand mon unique moyen de contact avec le monde extérieur (c’est-à-dire ma mère) était un pauvre téléphone qui me coûtait 3 euros à chaque sms envoyé. Vu qu’en ce temps jadis y avait un nombre limité de caractères par sms (sinon ça en coûtait deux), autant dire que t’avais plutôt intérêt à te restreindre sur le déballage de ta life, ce qui te poussait à aller à l’essentiel. En gros donc : Maman, t’en fais pas, je suis toujours en vie (envoyé toutes les deux semaines).

J’étais complètement seule avec ce que je vivais. Et j’adorais ça, en fait.

Déjà à l’époque, tenir le Carnet de Route me demandait une certaine astreinte, mais j’étais beaucoup moins prolifique au niveau de la fiction, donc ça se résumait plus ou moins à la seule écriture que je m’imposais.

Les choses ont changé aujourd’hui.

Le truc, les gars, c’est que quand t’es capable de transformer une expérience en fiction, y a plus aucun intérêt à la relater telle quelle. Aucun intérêt personnel, du moins. La nouvelle La Passagère a constitué une sorte de révélation, à ce niveau. L’exemple le plus flagrant que je puisse trouver, c’est ces légendes que les indigènes m’ont racontées. Pourquoi les faire transiter par ici alors que je peux direct m’en inspirer pour les transformer en Histoires de l’Autre Monde ?

A partir de maintenant, voilà ce sur quoi je veux travailler. Voilà l’endroit où je veux mettre toute ma putain d’énergie. Et surtout, voilà la seule concession à l’écriture que je suis désormais prête à faire durant ce voyage.

La fiction. Utiliser ce que je vis pour l’incorporer directement à mon œuvre.

Les deux semaines passées dans la jungle colombienne sans wifi ont achevé de me convaincre que la seule vraie manière de vivre ce trip était d’oublier le reste du monde. Celui que j’ai laissé derrière moi. Physiquement, mais aussi sur les réseaux.

Les rencontres de malade s’enchaînent. Les évènements explosifs s’accumulent. Les expériences se télescopent si vite les unes après les autres que tout ce que je peux faire est de… suivre. Galoper avec elles, sans reprendre mon souffle. Sans déconner, j’ai l’impression d’être Jim Carrey dans Yes Man ! Vous connaissez le principe ? Dire OUI à tout ce qui se présente, foncer tête baissée dans tout ce que la vie te propose, aussi ouf, dangereux ou stupide que ça paraisse ! Et bordel, mais c’est la meilleure manière de vivre, nom de Dieu ! Vous voulez des exemples ? No problemo.

En vrac et dans le désordre, ces dernières semaines j’ai repris de l’ayahuasca en Colombie pour la première fois depuis la mort de Wish, j’ai vu des dauphins, des singes, des perroquets libres volant dans le ciel et des serpents mortels, j’ai quitté la Colombie pour le Pérou en naviguant sur l’Amazone, j’ai appris à préparer le rapé (tabac à priser chamanique), je suis tombée amoureuse, j’ai fait le plus beau galop de ma vie sur un cheval nommé Cambalaché, j’ai réalisé le rêve de me rendre sur les lieux du film L’Étreinte du Serpent, j’ai vu une liane d’ayahuasca vieille de 16 générations, j’ai rencontré des Italiens, des Anglais, des Lituaniens, des Polonais, des communautés indigènes de tous bords, des gens complètement fêlés et magnifiques, chacun avec sa folie singulière, qui m’ont filé du grain à moudre pour de futurs personnages, j’ai testé le yopo, graines contenant de la DMT qu’on réduit en poudre pour se l’envoyer dans le nez et c’était tellement violent que j’ai cru que j’allais jamais en revenir, je me suis lavée toute nue dans les rivières, j’ai gerbé mes tripes, je me suis décalqué la gueule à la bière, je me suis sentie seule, je me suis sentie comprise, je me suis sentie aimée, j’ai parlé de mes livres à un nombre de gens effarant, j’ai fait tellement d’heures de bateau dans la jungle que je sais même plus l’effet que ça fait de prendre un bus, je suis restée dans une grotte toute noire en plein silence, que les indigènes considèrent comme le vagin de la déesse de la Terre, la Pachamama, seulement caressée par le frôlement des chauve-souris, et en sortant de cette grotte je suis née à nouveau (selon la légende), et enfin… j’ai trouvé la communauté dans laquelle je vais rester pour faire une diète d’ayahuasca et sans doute d’autres plantes maîtresses, celles que Travis diète dans Borderline.

Là-bas, il y a un tumbo dans lequel je peux m’isoler sans voir personne pendant des semaines en pleine jungle. Et il est aussi question que je prenne de l’ayahuasca toute seule, dans ce tumbo, pour la première fois de ma vie.

Donc après 4 mois et demi de voyage, les priorités ont changé. Le seul truc qui compte à mes yeux à présent, c’est de VIVRE.

Bien sûr, en tant qu’auteure indépendante, je me disais que de maintenir un minimum de présence sur les réseaux, c’était le moins que je pouvais faire pour faire perdurer mon business. C’est bien connu, pas vrai, que si t’existes pas sur les réseaux, t’existes pas tout court.

Putain de conneries.

Bullshit de merde.

La vérité, c’est que beaucoup de gens se contentent de liker mes photos sans avoir la curiosité d’aller voir ce que j’écris. C’est marrant, mais on dirait qu’ils font pas le lien entre ce que je montre de mon voyage et l’inspiration que ça pourrait me procurer. Hey, j’adore le délire de cette meuf, quel beau voyage, dis donc ! Acheter ses livres parce que cette fille-là doit forcément avoir des trucs intéressants à dire ? Tu parles ! A part scroller, j’ai pas le temps pour ça, mon vieux. Pas le temps de lire. Pas le temps de rien.

Bah vous savez quoi ? Fuck off. J’ai plus de temps à perdre avec ça. Si Borderline doit se faire connaître pour de vrai un jour, ça se fera sans moi.

Je posterai encore quelques photos sur Twitter et Instagram, parce que c’est important pour moi de montrer aux autres la beauté du monde et peut-être d’arriver à en inciter certains à se lancer sur la route à leur tour, mais j’en ai fini avec l’étalage de mon vécu à travers ce Diario.

Tout ce qui m’incombe en tant qu’artiste, c’est juste de continuer à écrire. Et bordel m’isoler en pleine jungle avec l’ayahuasca comme guide est le seul et unique putain de truc sensé à faire à l’heure qu’il est. Et puis, ici, les gens s’intéressent vraiment à ce que j’écris. Quand ils voient le jaguar sur la couverture du tome 1, ils comprennent tout de suite ce que ça veut dire. S’il existe encore un quelconque marketing en ce qui concerne Borderline, il est à présent dans le rapport direct. Évidemment, la plupart des gens que je croise ne sont pas Français, ce qui limite le nombre de lecteurs que je peux trouver. Mais je m’en cogne, en fait. Rien que de parler de cette saga, qui compte plus que tout à mes yeux depuis plus de la putain de moitié de ma vie, à des gens qui parlent le même langage que moi, suffit à me réjouir !

Donc voilà où on en est. Mes projets ? Demain, je pars pour des semaines de diète d’ayahuasca et de plantes maîtresses dans une microscopique communauté le long d’une rivière au sud d’Iquitos. Je vais m’acheter des cahiers, à l’ancienne, pour écrire le dernier tome de Borderline exactement dans les mêmes conditions que Travis. Eh ouais, là-bas y a pas toujours l’électricité pour charger l’ordi, et je me laverai dans la rivière et je me ferai défoncer par les moustiques, mais qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Je vais retranscrire mes cérémonies pour poursuivre les Carnets d’Ayahuasca. Je vais tout bonnement suivre ma route en silence, celle qui fend en deux le cœur de mon esprit, pour aller y débusquer les dernières flammes dont j’ai besoin pour terminer ma saga en monstrueuse apothéose !

Merci à tous ceux qu’ont suivi ce Diario Latino pendant presque 5 mois. Je veux pas entendre la moindre plainte. Si ce que je fais vous intéresse vraiment, allez acheter mes bouquins et lisez mes nouvelles. Ces journaux de voyage, c’est que de la couille en boite comparé aux étincelles que je suis capable de produire en fiction.

Le fameux “Show, don’t tell”, vous connaissez ? Bah voilà. Personne ne perd au change, et surtout pas moi.

Je suis libre.

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