Le Coin des Desperados

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Diète de Plantes #1 : Comprendre la Medicina des Plantes

Aborder la question de la diète de plantes ne peut pas se faire de façon superficielle. Les tenants et les aboutissants sont trop vastes, trop complexes, trop nombreux. Aussi profonds et mystérieux que la culture dont la médecine des plantes est issue.

C’est de cette culture qu’il sera question ici. Plus particulièrement, celle de la tradition shipibo auprès de laquelle je pratique la diète de plantes maîtresses depuis maintenant un paquet d’années. La médecine amazonienne ne peut pas être détachée du paradigme qui l’infuse tel un réseau de veines souterraines, irriguant jusqu’aux ramifications astrales où se porte cet art.

Comprendre ce que signifie diéter une plante implique de laisser pénétrer en soi quelque chose qui est de l’ordre de Ronin, l’Anaconda Mythique des Shipibo, Ouroboros créateur de la réalité. Il s’agit d’assimiler une signification qui nous dépasse : celle qui fait du monde terrestre et du monde supraterrestre une alliance de deux réalités entrelacées l’une à l’autre façon liane d’Ayahuasca.

L’Ouroboros est une unité : la dualité entre nature et culture, entre humain et non humain, entre matière et esprit disparait. Et partout, tout le long du corps de ce reptile cosmique, les plantes sont présentes.

Car c’est PAR les plantes que les chamans shipibo apprennent à soigner AVEC les plantes. La transmission de la connaissance se fait par imprégnation directe, de corps à corps, de conscience à conscience, sans intermédiaire entre l’Homme et le Végétal. Les plantes sont la clé de voûte de la culture, de l’art, et de la médecine shipibo. Elles y tiennent le rôle de protecteur, d’enseignant, de docteur, mais surtout de portail ouvrant vers le cosmos : cosmos intérieur de l’Homme (microcosme), et cosmos extérieur de l’Univers (macrocosme), connectés entre eux au sein d’une dimension qui n’est accessible que par la voie du végétal. Les plantes sont le chaînon manquant qui transforme l’Homme en un être pleinement vivant, mais aussi pleinement humain.

Ce premier article du Dossier Diète de Plantes est le plus schématique de tous, parce que notre cerveau d’Occidental — qui a l’habitude de faire turbiner son côté gauche (logique) davantage que son côté droit (intuition) — a besoin d’attaquer le thème de la médecine des plantes d’une façon analytique et rationnelle afin d’être en mesure, dans un second temps, d’embrasser pleinement son potentiel poétique. La médecine allopathique et beaucoup de psychonautes en sont encore à plafonner du côté moléculaire de la force enthéogène (dommage, ce n’est que le premier niveau), et si je ne critiquerai jamais personne de tenir à conserver son esprit critique sans vouloir verser dans une romantisation niaise de la relation au végétal, il n’empêche qu’il est complètement impossible de saisir la signification, la puissance et l’efficacité, mais également les subtilités, de la diète de plantes version shipibo quand on est ignorant des faits que je vais aborder ici.

On va donc explorer le paradigme shipibo et sa relation aux esprits, ainsi que sa représentation de la santé et de la maladie ; les dimensions physiques, énergétiques et spirituelles des plantes ; les quatre différents types de plantes et leurs usages au cœur des pratiques ; et enfin les trois étapes clés du protocole thérapeutique avec les plantes.

J’ai donné le maximum d’exemples possibles afin de rendre cet article vivant, aussi ne vous étonnez pas de croiser un paquet d’esprits et de plantes cités par leur petit nom tout le long de votre lecture !

Mais attention : ne confondez pas la carte avec le territoire. Les classements effectués ici ne servent que de points de repère. L’univers des plantes regorge de dimensions multiples, fractales et holographiques aux frontières évanescentes. Les mondes se chevauchent et s’interpénètrent l’un l’autre. Souvenez-vous que lorsqu’on aborde le royaume du Vivant, il est impossible d’isoler totalement une chose d’une autre, car tout est interconnecté…

Ce Dossier se présente en 7 parties, les autres numéros seront disponibles petit à petit…

  • #1 : Comprendre la medicina des plantes - Cartographie d’une médecine multidimensionnelle

  • #2 : Rendre un être humain à la nature - Le processus thérapeutique shipibo

  • #3 : Accueillir en soi l’esprit d’une plante - Les règles fondamentales de la diète de plantes

  • #4 : L’Alliance cœur-esprit-volonté - Clarifier et densifier ses intentions lors d’une retraite

  • #5 : L’Art de rêver dans la selva - Travailler dans le monde onirique des plantes

  • #6 : L’Alchimie dans la rencontre avec les plantes - Apprendre à lire le Grand livre de la Nature

  • #7 : Idées magiques et conseils surprenants pour optimiser sa diète - Pratiques de magie et de psychomagie

Cartographie d’une médecine multidimensionnelle

ACQUÉRIR LA CONNAISSANCE DIRECTEMENT DES PLANTES

Chez les Shipibo, le corps est fondamental. C’est une sorte de temple dont on doit prendre soin. A la différence de nombreuses traditions spirituelles, l’idée n’est pas de renier le corps et l’expérience sensorielle qui va avec afin de rejoindre le transcendant, mais plutôt d’incorporer, d’assimiler, d’incarner le transcendant en le faisant “descendre”, en lui donnant vie dans la réalité matérielle. Le corps est la structure primordiale capable d’accueillir en elle les niveaux supérieurs : émotions, volonté, esprit, âme. C’est donc par son biais que toute connaissance est rendue possible.

Le corps est un instrument permettant d’accéder aux vérités universelles, mais également aux mythes. C’est par lui qu’on apprend la médecine, c’est par lui qu’on est en mesure de soigner les autres.

Et c’est ce qui rend la medicina amazonienne si unique : il s’agit du seul système médical connu au monde dont le mode d’acquisition de la connaissance ne passe par aucune transmission humaine, qu’elle soit orale ou écrite. Ce n’est pas de maître à disciple qu’on apprend à soigner, et le savoir phytothérapeutique n’est consigné dans aucun ouvrage de référence. Les seuls enseignants sont les plantes.

C’est par le canal d’états modifiés de conscience, résultats d’ascèses sévères et de prises d’Ayahuasca, que la transmission est rendue possible. Grâce aux rêves et aux cérémonies, les plantes maîtresses partagent leur savoir et développent les capacités latentes de la conscience humaine, grâce auxquelles les curanderos pourront exercer leur médecine.

On est donc bien loin d’un savoir encyclopédique détaché de tout empirisme et de toute subjectivité. La medicina est une connaissance vécue depuis l’intérieur, intime et singulière, reçue directement au travers du corps via l’expérience individuelle.

Prendre soin du corps et le maintenir dans les meilleures conditions physiques, énergétiques et spirituelles possibles, grâce à un entretien régulier et un mode de vie sain, est donc indispensable pour les guérisseurs, et c’est dans ce cadre que s’inscrit la diète de plantes.

L’IMPORTANCE DE LA RELATION AU MONDE DES ESPRITS

Dans la culture shipibo, tous les êtres (vivants et non vivants) sont dotés d’un esprit (yoshin), la “spiritualité” est donc partie intégrante de la vie sur Terre. Chaque être possède différentes dimensions, de la plus physique et matérielle à la plus transcendantale et spirituelle, incluant donc des mondes visibles, invisibles, des esprits et des forces variées. De multiples échanges se créent en permanence entre les mondes, qui communiquent entre eux et forment un réseau de liens où monde manifesté et monde invisible se rencontrent. Leurs frontières sont poreuses, voire inexistantes.

Certaines lois gouvernent ce réseau, telles que la justice et la réciprocité, et ces lois doivent être respectées pour que cet écosystème reste sain et équilibré. Ici, je me dois de préciser qu’il ne faut pas non plus idéaliser la chose. Le monde indigène est un monde guerrier, et justice et réciprocité signifient fréquemment “œil pour œil, dent pour dent”, que ce soit dans la réalité ordinaire ou dans le domaine spirituel, ce qui implique de renvoyer les sorts à l’attaquant et de ne pas craindre de se défendre quand c’est nécessaire.

Cela étant dit, conserver l’harmonie dans les relations est vu comme la clé de la santé, à la fois individuelle et collective. Selon ce paradigme, prévenir la maladie signifie prendre soin des liens sociaux, mais aussi de ceux qui nous relient à la nature et aux esprits. La spiritualité est donc le principal facteur et le meilleur garant d’une bonne santé.

A titre d’exemple, je connais pas mal de personnes qui ont connu des problèmes de santé (physique ou spirituelle) suite à des déboires avec le Chullachaki, les Dauphins ou la Sachamama dont elles avaient offensé l’esprit.

Le Chullachaki est l’esprit-gardien de la selva, ainsi que des hommes et des animaux qui y vivent. On l’appelle le Spectre de la Forêt. C’est un yoshin considéré comme ambivalent. Bien que son apparence laisse à désirer (c’est une sorte de nain avec une jambe tournée du mauvais côté, ce qui lui permet de laisser des traces de pas allant dans les deux sens pour créer la confusion et égarer les gens dans la forêt. En tant que Trickster de la selva, il adore rendre les gens fous ! Il est aussi réputé pour emprunter l’apparence d’un proche afin de nous tromper et nous inciter à le suivre… vers la perdition !), le Chullachaki est une méta-entité redoutable qui se venge quand il estime qu’on lui a manqué de respect, à lui et aux habitants de la selva. Par exemple, un chasseur qui ne respecte pas les lois naturelles en chassant plus que ce qu’il devrait, ou alors qui s’aventure dans un territoire qui n’est pas le sien, ou bien encore qui braconne dans un des “jardins” personnels du Chullachaki (ce sont des zones en plein cœur de la forêt où tout est étrangement ordonné et “propre” : herbe rase, pas de feuilles au sol, arbres bien alignés… Vraiment étrange ! On dit que c’est le Chullachaki qui entretient ces jardins), eh bien, ce chasseur sera puni, voire tué.

Vous pouvez retrouver une nouvelle littéraire qui narre la rencontre entre un chaman et le Chullachaki ici.

Les Dauphins se révoltent aussi quand on les chasse ou les tue sans raison, ou pour se servir de certains de leurs organes pour faire de la sorcellerie (le vagin des dauphins femelles est très utilisé pour les sorts d’amour)… Ils peuvent créer des tourbillons pour noyer les pirogues, attirer les Hommes sous l’eau en les séduisant, ou encore venir sur terre, déguisés en humains, pour accomplir leur vengeance…

Quant à la Sachamama, ce serpent géant mythique tellement gros qu’il détruit les arbres sur son passage en laissant des sillons dignes d’un Monster Truck Bulldozer dans toute la forêt (d’ailleurs, il est si gros et si vieux que des arbres poussent carrément sur lui !), de nombreux pêcheurs (il nage aussi, oui) ont connu de grosses frayeurs à cause de lui, et certains n’en sont jamais revenus !

Bref, comme vous le voyez, la relation avec les esprits est à prendre au sérieux en Amazonie, et en dehors du fait de faire attention où on met les pieds et de demander la permission de passer sur un terrain qu’on sait appartenir aux esprits, la première règle à suivre est celle de l’hygiène, très importante pour les Shipibo : on se lave tous les soirs à la rivière afin de prendre soin de son corps physique (sauf si on a ses règles ou qu’on vient d’accoucher, auquel cas on risquerait d’offenser l’esprit de l’eau ou les Yakuruna qui y vivent), et on réalise des bains de plantes, des purges laxatives et vomitives, des soins aux parfum, des massages, des saunas, afin de nettoyer et laver son corps énergétique aussi. C’est comme ça qu’on se libère régulièrement des charges négatives, émotionnelles, spirituelles ou autres. Ces rituels constituent des moyens de prévention face à toute maladie, de n’importe quel type qu’elle soit.

LA SANTÉ ET LA MALADIE DANS LE PARADIGME SHIPIBO

Dans ce contexte, la santé est donc le signe, voire la preuve, de l’harmonie entre l’être humain et le monde naturel, social et spirituel. C’est un fragile équilibre à conserver, qui rappelle sans cesse à l’Homme son attachement à l’environnement.

Quand ce rapport harmonieux au monde est préservé, s’ensuit un bien-être qui permet de mener de front toutes ses activités et de vivre dans la joie. Jouir de la vie est primordial chez les Shipibo, c’est même sans doute l’emblème le plus éclatant de la santé. Pour eux, quelqu’un qui a perdu le goût de vivre, la joie dans les activités quotidiennes et l’envie d’entreprendre, souffre d’un kaya (âme ou principe vital) endommagé.

Si la maladie est le signe infaillible de la rupture de l’harmonie, retrouver la santé passera donc par restaurer l’impulsion vitale et rééquilibrer le rapport au(x) monde(s).

Pour les Shipibo, il existe deux sortes de maladie : celles qui ont des causes naturelles (déséquilibre du système chaud/froid, influence de la météo ou des astres, traumatismes osseux…), et celles qui ont des causes surnaturelles (mauvais œil, influence des esprits, sortilèges…).

Ils reconnaissent les mêmes symptômes que ceux décrits par la médecine occidentale, mais également plein d’autres signes que notre médecine ne prend pas en ligne de compte, comme de subtils changements dans les perceptions et le fonctionnement corporel ou une modification des interrelations avec l’environnement.

Les curanderos sont donc très attentifs à tous les facteurs qui les aideront à diagnostiquer une maladie : caractéristiques des pouls (sanguins et énergétiques), contenus des rêves, apparence des excréments, sensations thermiques, phénomènes acoustiques, clarté de la vision, ainsi que d’autres indices encore plus subtils : présence de fourmis sur les vêtements, le fait que certains animaux ne s’approchent plus, ou encore l’apparition d’animaux venimeux… Tous ces éléments seront interprétés et prendront sens dans le cadre symbolique culturel, où tout est compris comme un signe.

La medicina traditionnelle shipibo est holistique : elle s’attache à lire et soigner la totalité de l’être et va même au-delà de lui, en cherchant aussi à rééquilibrer son environnement. Le corps humain est donc constitué du corps physique, du corps énergétique (qui comprend également les niveaux émotionnel et psychique) et du corps spirituel, et inclut les interrelations que ces corps entretiennent entre eux et avec le monde.

Ainsi, la véritable guérison doit atteindre le rétablissement de l’harmonie globale ; traiter la maladie autrement ne serait pour eux qu’une solution partielle.

En définitive, peu importe son type, les Shipibo considèrent que toute maladie comprend des composantes physiques, énergétiques et spirituelles, et que pour atteindre une guérison intégrale, on ne peut pas se limiter au traitement des symptômes. Il faut rétablir l’équilibre total, sinon la maladie reviendra sous une nouvelle forme ou restera planquée à l’état larvé, provoquant une faiblesse du corps qui sera le précurseur de maux à venir.

Et c’est là qu’entre en scène la medicina des plantes. Puisqu’en toute logique les techniques utilisées pour guérir seront liées aux caractéristiques de la maladie, le traitement sera complexe dans le sens où il devra inclure l’ensemble des sphères mentionnées plus haut. Il sera donc question de médecine à la fois physique, énergétique et spirituelle.

Et c’est par les plantes que ça va se passer…

LA MÉDECINE PHYSIQUE, ÉNERGÉTIQUE ET SPIRITUELLE DES PLANTES AMAZONIENNES

Suite à ce préambule, il est beaucoup plus facile de comprendre comment fonctionne véritablement la médecine des plantes amazoniennes et les diètes de plantes maîtresses qui vont avec. Car les plantes, comme les êtres humains et comme tout être de la nature, existent, agissent et communiquent sur trois plans :

  • Le plan moléculaire, c’est-à-dire le niveau physique. 

  • Le plan atomique, c’est-à-dire le niveau énergétique (qui, chez l’Homme, comprend le domaine psychologique et émotionnel).

  • Le plan subatomique ou quantique, c’est-à-dire le niveau spirituel (où il est question des esprits, du sens de la vie et du sacré).

Le plan physique d’une plante, c’est bien évidemment son aspect matériel, et son action moléculaire en tant que plante médicinale : ses principes actifs, ses propriétés chimiques, en gros donc ses bienfaits pour la santé… Mais on peut aussi parler des effets physiques qu’elle a sur l’Homme.

Par exemple, le Chiric Sanango et sa scopolamine donne froid, fait trembler, et engourdit les lèvres et les extrémités des doigts. Au niveau médicinal, il soigne les rhumatismes, l’arthrite et les refroidissements.

Le plan énergétique d’une plante (visible grâce à un certain type d’imagerie dont j’arrive pas à retrouver le nom), c’est, pour l’Homme, la façon dont elle va travailler au niveau psycho-émotionnel chez lui, mais également comment elle va fluidifier certains nœuds ou blocages immatériels.

Par exemple, l’Ajo Sacha prise en inhalation a un effet physique marqué très désagréable : elle brûle littéralement la narine, l’oreille, la gorge, jusqu’au cerveau. Prise en boisson, ses molécules sont anxiolytiques et elle renforce le système immunitaire.

Au niveau énergétique, l’Ajo Sacha nettoie le mental, affermit la volonté, l'estime de soi et la capacité de décision.

Il y a donc bien un effet à la fois physique (ça brûle, c’est antidépresseur et ça booste l’immunité), psychique (parasites mentaux brûlés, clarté d’esprit retrouvée) et émotionnel (ça fait un bien fou d’avoir un mental clair et de ne plus être déprimé, on respire à nouveau, on est plus serein, on retrouve confiance en soi !).

Avec tout ça, l’énergie vitale est déjà nettement restaurée.

Et enfin, le plan spirituel d’une plante, c’est les enseignements dont elle a le secret, qui lui sont spécifiques, et qu’elle va pouvoir transmettre à l’Homme quand celui-ci s’engage avec elle dans un processus de diète. C’est ce plan qui met l’Homme en relation avec l’esprit de la plante.

Ici, on peut prendre l’exemple assez emblématique du Tabac pour illustrer toute la dynamique d’une plante travaillant sur les trois plans.

Le Tabac est une purge radicale pour l’organisme : vomissements, suées (voire fièvre), parfois diarrhée, il jette violemment dehors tout ce qui n’est pas sain, d’une façon intensément physique.

Du point de vue énergétique, le Tabac est le plus puissant des protecteurs, et les chamans l’utilisent en sopladas (ils le soufflent) pour préserver le corps énergétique de leurs patients de l’entrée des mauvaises énergies et des attaques d’entités, mais aussi pour leur transmettre des énergies de guérison, ou encore des enseignements qui passent alors directement du corps énergétique du chaman au corps énergétique de l’apprenti. La fumée elle-même, dont la nature se situe entre le tangible et le volatil, fait figure de parfait véhicule entre les plans matériel et énergétique. Chez celui qui le diète, le Tabac fait disparaitre la faiblesse physique et psychique en renforçant la structure corporelle et la clarté mentale.

En tant qu’esprit, le Tabac est systématiquement perçu comme un homme noir, fort, solide, qui nous aide à incarner les qualités masculines de l’âme, c’est-à-dire droiture et puissance physiques, et structure, clarté et volonté mentales.

Vous pouvez lire le récit de ma diète de Tabac ici.

Une chose intéressante à noter : les effets des plantes, qu’ils soient moléculaires, atomiques ou quantiques, sont bien souvent liés à leur aspect physique, comme si la nature donnait une indication métaphorique de leurs fonctions…

Je vais prendre le temps de vous donner quelques exemples :

Le Bobinsana est un arbuste qui pousse au bord des rivières, capable de résister aux crues grâce à ses puissantes et profondes racines, dont les fleurs sont de magnifiques petites choses roses et blanches… Eh bien, le Bobinsana, sa spécialité, c’est l’ancrage et l’ouverture du cœur. Donc, dans un langage poétique, avoir des racines bien balèzes et un cœur ouvert comme ces fleurs roses et blanches pleines de magie.

Pas mal, nan ?

Le cas du Chiric Sanango est un peu différent, ce n’est pas son aspect matériel qui nous intéresse ici, mais le fait qu’il provoque des effets physiques et émotionnels qui semblent étroitement entrelacés les uns aux autres....

Le Chiric génère d’incontrôlables frissons et travaille sur la peur. Il donne froid et nous débarrasse de la froideur affective. Il engourdit et taffe sur le manque de sentiments ou sensations du cœur…

Vous voyez comment les manifestations physiques et affectives sont similaires ? Frissons/peur, froid/froideur affective, engourdissement/absence de ressentis sentimentaux ?

La médecine des Palos (les grands arbres de la forêt), elle, est réputée comme étant la plus puissante, car ce sont des êtres très vieux, très solides, qui montent très haut… En toute logique, leur savoir est donc ancestral, tanké et visionnaire à la fois.

La Lupuna, en particulier, qui est l’un des arbres les plus hauts d’Amazonie et peut atteindre plusieurs centaines d’années au compteur, est considérée comme la Grande Gardienne de la selva, et sa diète doit durer deux mois minimum… Oui, le temps de diète aussi semble connecté au temps que les plantes mettent à atteindre leur pleine maturité ! De plus, elle vit près des rivières, donc elle est liée aux Yacuruna et aux Sirènes qui sont les esprits de l’eau, et son tronc forme une sorte de base triangulaire dont on raconte qu’elle renferme un portail dimensionnel, visible sous les effets de l’Ayahuasca…

Il y aussi le cas du palmier Yarina (celui avec les feuilles duquel on fait le toit des malocas), qui a la capacité de s’entendre avec tous les végétaux et les animaux de la selva. Il fait figure de centrale pour le réseau global dont j’ai parlé plus haut, vers laquelle tous les fils convergent, c’est donc lui qui établit la communication entre tout le monde et tous les mondes. Du fait de son bois très dur, de sa croissance lente et de sa reproduction sur place pendant plusieurs générations, le Yarina est associé aux ancêtres et fonctionne comme une sorte de moteur de recherche ; il suffit aux chamans de se connecter à lui pour qu’il établisse la connexion aux autres êtres et aux autres mondes grâce aux fils du réseau !

Autre truc incroyable : l’aspect physique des plantes correspond parfois à leur aspect en tant qu’esprit…

Le cas le plus évident est celui du Docteur sans Tête de l’Ayahuma, dont la représentation spirituelle concorde avec la figure matérielle de cet arbre immense aux fruits tout ronds en forme de têtes qui tombent au sol sans cesse tels des boulets de canon...

Le compte-rendu de ma diète d’Ayahuma se trouve ici.

Et l’Ayahuasca, qui est une liane, s’accroche et pousse sur tout ce qu’elle trouve, le bon comme le mauvais, ce qui explique pourquoi elle provoque souvent une inflation de l’ego…

Il faut noter que cette étrange symétrie entre les mondes moléculaires, atomiques et quantiques fonctionne aussi avec des plantes qui ne sont pas des plantes maîtresses, comme ces feuilles qui ressemblent à des têtes de serpent, bonnes pour les morsures de serpent, ou encore le fait que la plante qui contient le poison pousse juste à côté de celle qui contient précisément le remède à ce même poison…

Est-ce une coïncidence, ou est-ce que les Shipibo voient juste quand ils disent qu’il suffit d’écouter le langage de la nature et de lire les signes qu’elle dispose partout ? Non, ça peut pas en être une. Ces mecs sont trop bons, trop précis pour ça…

Bien sûr, ça ne marche pas à tous les coups, et ce n’est pas chaque feuille en forme de cœur qui est bonne pour les problèmes cardiaques ou les questions d’amour, mais tout de même, on est forcé de s’interroger…

Indéniablement, cette approche est radicalement différente de notre médecine classique et de nos méthodes d’apprentissage académiques. Ici, on est au cœur du Vivant, et c’est la jungle qui est la grande école de la Vie. C’est un domaine qu’on explorera plus en détails dans le chapitre sur l’Alchimie.

Bref, contrairement à la médecine allopathique occidentale qui ne taffe qu’au niveau moléculaire, et réduit donc la portée de son action au domaine purement physique, la medicina des Shipibo est un corpus de connaissances et de techniques qui sollicite les plantes à travers l’ensemble de leurs potentiels de soin, physiques, énergétiques et spirituels. Le but étant, comme on l’a dit, de proposer une guérison holistique de l’Homme prenant en compte la totalité de son être.

Cette thérapie holistique se réalise via une série de pratiques corporelles liées aux plantes : boire de la sève, des décoctions ou des macérats, inhaler de la poudre ou du liquide, se baigner avec des fleurs ou se laver avec de l’eau où des plantes auront trempé, faire des saunas, recevoir des fumigations de tabac ou des sopladas de parfum, se purger avec des plantes qui font vomir, transpirer ou provoquent la diarrhée, et parfois même se faire fouetter avec des orties ! Sans parler, bien sûr, de recevoir des icaros, ces chants curatifs qui canalisent, dirigent et surtout activent l’énergie des plantes, mais c’est un gros morceau auquel on s’attaquera dans le second article de ce dossier.

D’une manière générale, ces pratiques visent une transformation du corps pour le rendre plus réceptif au règne végétal. Mais pour ça, il y a un ordre à suivre avec les plantes…

LES 4 TYPES DE PLANTES ET LEURS USAGES

Si ce classement est un tantinet artificiel, c’est par mesure pédagogique. L’idée est de schématiser un peu afin de rendre le truc plus facile à capter. En effet, il existe énormément d’usages pour les plantes et leurs multiples vertus, la majorité d’entre elles peuvent jouer plusieurs rôles et possèdent des qualités et des fonctions qui s’entrecroisent. Les plantes maîtresses, en particulier, ont des propriétés à la fois médicinales et enseignantes, ce qui fait qu’on peut les employer comme remède ou les aborder comme des maîtres.

Du fait que les plantes existent sur les trois plans dont on vient de parler, il serait trop réducteur de les reléguer à un usage unique, mais parce qu’il est important de comprendre dans quel ordre fonctionne la diète de plantes, je vais me permettre ici de catégoriser un brin les choses.

LES PLANTES DE PURIFICATION

La purge est clairement LA notion centrale de la médicine Shipibo. Le nettoyage est crucial pour eux, et on a même parfois le sentiment que la medicina tourne presque exclusivement autour de ça, tant ces gens n’ont que le mot LIMPIEZA à la bouche ! Mais c’est une question de logique, pas vrai ? Comment accueillir en soi de nouvelles énergies quand on est déjà complètement encrassé par les vieilles ?

Le seul moyen d’être réceptif au monde invisible est donc de se purifier, profondément et régulièrement, afin que les esprits puissent “pénétrer” le (ou les) corps. A travers la purge, l’idée est aussi de fortifier et tonifier l’organisme. De manière préventive ou curative, elle constitue une pratique courante de l’hygiène énergétique. Dans le cadre d’une préparation à la diète, il s’agit de faire de l’espace pour recevoir et se rendre disponible aux esprits des plantes.

La purge peut être vomitive (en général, on boit un extrait de plante suivi de plusieurs litres d’eau qui vont déclencher des vomissements), ou laxative. Sa durée varie selon les plantes et le niveau d’encrassement.

Les plantes de purification sont donc celles qui s’attaquent à nous désintoxiquer et nettoyer nos déchets, avant tout physiques, mais également psychiques, émotionnels et énergétiques, puisque comme je l’ai déjà maintes fois répété, le corps est complètement connecté au reste, que c’est LE canal vers tout le reste. Donc travailler sur l’un, c’est travailler sur tout, on ne peut alors pas résumer les plantes de purification à leur vertus de détox physique.

Et quand on se prête au jeu, on constate en effet que, d’une manière très musclée, les plantes de purification arrivent à venir concrètement à bout de ce qui nous pollue en offrant un nettoyage du corps physique, un lavage des émotions, et une purification du mental. Chose très appréciable quand on s’apprête à entrer en diète.

On peut citer à nouveau l’Ajo Sacha en inhalation qui brûle les parasites mentaux, la Hierba Luisa qui draine l’estomac, la vessie et le système respiratoire, la Malva qui nettoie les poumons et élimine le mucus, le Piñon Colorado qui désincruste les intestins, le Tabac évidemment, purge extrêmement intense à tous les niveaux, ou encore l’Ayahuma dont on utilise les fruits violets (ceux qui se trouvent au cœur des graines en forme de boulets de canon) afin de s’en enduire le corps sous la douche pour se débarrasser des énergies nocives de la ville et de la fatigue du voyage (quand on vient juste de débarquer au centre de médecine) afin de se préparer à aller en diète (la pulpe de fruit nettoie aussi la sorcellerie).

Pour les bains de vapeur, un mélange d’une bonne dizaine de plantes est souvent réalisé. L’absorption de leurs bienfaits passera directement par les pores de la peau ouverts par la chaleur. Les bains de fleurs (à l’eau froide), eux, sont davantage utilisés pour réharmoniser que pour purifier.

D’autre part, l’Ayahuasca est elle aussi une sacrée purge en tant que telle, et ce n’est pas pour rien si son surnom est LA PURGA !

Naturellement, c’est une tâche qui revient souvent, le nettoyage. On ne peut jamais dire que c’est fait une bonne fois pour toutes. Mais il n’empêche que c’est seulement après ça qu’on peut commencer à parler d’accueillir les esprits et les bonnes énergies. 

LES PLANTES VISIONNAIRES

Les plantes visionnaires sont les plantes psychoactives, celles qui nous permettent d’explorer à la fois notre intériorité et le monde subtil, ou plutôt, qui nous offrent de voyager dans le monde subtil à partir de notre intériorité…

Cela rejoint l’idée que dans le chamanisme shipibo, la connaissance s’élabore grâce à l’expérience subjective, tout en n’empêchant pas le savoir d’être ensuite corroboré objectivement, c’est-à-dire par plusieurs personnes et d’une façon parfois reproductible, condition sine qua non de toute science. C’est le cas pour l’aspect spirituel du Tabac, ce grand homme noir que tout le monde voit.

La véracité du contenu des visions peut souvent être vérifiée dans la vie ordinaire ; je me souviens du cas de cet ami dont on avait volé la moto. En cérémonie, il a vu le mec qui la lui avait chourée, mais il a aussi vu le commanditaire du vol, qui avait envoyé le premier type se farcir le sale boulot. Mon ami a été voir le voleur, qui a confirmé toute l’histoire…

De mon côté, j’ai aussi reçu, en rêve et en cérémonie, des informations précises que je n’avais aucun moyen matériel de connaître sur des personnes, et ces personnes ont confirmé plus tard ce que m’avaient montré les plantes.

Enfin, dans le temps, mon ancien maestro a eu des visions de mon futur qui, depuis, ce sont révélées exactes.

L’Ayahuasca, qui est la plante visionnaire par excellence de la médecine shipibo, est présentée comme la porte ouvrant vers toutes les autres plantes. C’est elle qui fait le lien entre les mondes, qu’il s’agisse du monde humain vers celui des esprits de la nature, des animaux et des plantes, et inversement (il arrive que les chamans reçoivent des requêtes venant des animaux, des plantes ou des esprits durant une cérémonie), mais aussi des mondes des plantes entre eux.

Traditionnellement, l’Ayahuasca est l’outil de diagnostic des chamans, l’instrument qui leur permet de VOIR, dans le sens de lire, déchiffrer, décoder les maladies, mais également d’en trouver le remède et les conditions nécessaires à son bon fonctionnement. Et puisque tout est lié dans ce paradigme, et qu’on parle de soin global de tout un écosystème, les compétences permises par cette VISION s’étendent au-delà de la simple détection et identification de maladie, offrant d’apprendre de nouvelles techniques de médecine, de débusquer le gibier, de défaire les sorts jetés par les autres chamans, ou encore prédire l’avenir…

L’Ayahuasca est donc une interface visionnaire irremplaçable qui connecte à tout l’univers.

C’est aussi l’outil qui permet au chaman de voir le corps énergétique du patient et son principe vital. Il pourra ainsi agir sur ces énergies afin d’en restaurer l’équilibre par diverses manipulations rituelles, sopladas, chupadas, projection d’agua florida, et bien sûr émission de chants aux pouvoirs curatifs (tous ces rituels, ainsi que les icaros, seront étudiés en détails dans le prochain article de ce dossier).

Lorsqu’elle est prise en diète de plantes, les fonctions de l’Ayahuasca sont multiples.

Elle purge bien sûr, et son action semble révéler et réorganiser tout un ensemble de problèmes psychiques profondément engrammés sous forme de mémoires corporelles. Elle évacue donc de l’individu des toxines physiques et psychologiques.

Mais elle ouvre aussi le monde de la plante diétée aux diéteurs, en se transformant en une sorte d’écran malléable, de matrice dont les patterns peuvent être employés à la fois par le végétal et par l’humain, qui créent alors ensemble un nouveau langage inter-espèces fait d’images, de télépathie, d’émotions, de ressentis intimes… dialogue instantané qui paraît prendre place au sein d’une seule et même conscience…

L’Ayahuasca a également la capacité d’exposer une partie de l’inconscient d’une personne, de réveiller les souvenirs enfouis, les contenus biographiques oubliés, voire même transgénérationnels, ce qui donne l’impression d’enfin pouvoir parler avec son être profond. Par moment, on dirait même qu’elle ouvre une dimension hors de l’espace-temps, offrant des possibilités quantiques…

Et pour conclure, elle connecte aux icaros et encourage à mieux s’ouvrir au travail du guérisseur.

La relation avec l’Ayahuasca sera abordée en profondeur plus tard dans ce Dossier Spécial Diète, aussi je vais m’arrêter là pour le moment, d’autant plus que j’ai déjà rédigé une FAQ entière sur cette plante.

Je terminerai en disant que le Toé et le Tabac sont également des plantes visionnaires.

LES PLANTES MAITRESSES

Les plantes maîtresses, appelées plantes rao, sont celles qui disposent d’un esprit doté de pouvoir, d’un yoshin koshi, comparé aux simples plantes médicinales qui ont un esprit sans pouvoir, yoshin koshima, et sont donc des raoma (“ma” est le suffixe de négation).

Quand on parle d’entrer en contact avec l’esprit d’une plante maîtresse, c’est donc à ce yoshin qu’on fait référence. En tant qu’être humain, nous aussi avons une part yoshin, sorte de contrepartie inconsciente de nous-mêmes, qu’il s’agit précisément de développer et d’intégrer peu à peu à notre conscience lors de la diète.

Diéter des plantes maîtresses permet donc de révéler, d’accentuer, d’intégrer, d’élaborer et pour finir de contrôler cette dimension inconnue de nous-même afin de pouvoir entrer en contact avec le monde invisible et enclencher un dialogue, instaurer des échanges avec le yoshin de notre plante.

Le but d’une diète est de créer une relation avec cette partie de la plante afin qu’elle partage avec nous ses connaissances, qui forment une sorte de savoir-pouvoir. Cette acquisition se fait donc par imprégnation physique et psychique, car c’est à la fois notre être corporel et notre être yoshin qui sont ici mis à contribution.

Mais au-delà des yoshin, les Shipibo pensent que les êtres humains, les animaux sauvages et les plantes sont dotés d’une “mère”, qui est le maître (ibo) et le propriétaire de leur espèce. C’est un genre de prototype primordial gigantesque qui les a mis au monde, et qui contient toute leur essence.

L’ibo des plantes n’est donc pas individuel, mais collectif. Il est le gardien et le principe vital de l’espèce.

Selon les chamans, l’ibo est identique à un immense réseau qui connecte toutes les espèces végétales et animales entre elles. Ils le décrivent comme un ensemble de grands espaces urbains, hyper modernes, sillonnés d’axes routiers et de voies de communication. Une sorte de planète-cité de SF avec des faux-airs de Tokyo.

Et dans ces cités futuristes ultra-technologiques, il y a des gens qui sont exactement pareils aux Shipibo et aux métis. Tous ces gens font partie de l’ibo de la plante : ce sont les différents esprits qui lui sont associés. Certains sont spécialisés en médecine et apparaissent alors sous forme de docteurs. Ce sont ces gens qui nous font visiter le monde de la plante, en voiture, en taxi, les chamans disent qu’ils te promènent partout en te montrant et en t’apprenant des choses sur leur univers. Parfois ils t’amènent dans un hôpital, une salle d’opération, et même une université pour t’enseigner à guérir.

Et naturellement, ces hommes, mais aussi les taxis, les routes, et la planète qui porte le tout, sont l’ibo de la plante, puisque l’ibo est un esprit collectif.

C’est d’ailleurs ça que figurent les kene (ces dessins géométriques qu’on voit partout dans l’art shipibo, on en parlera dans le prochain article de ce dossier) : des voies, des chemins, des ponts entre les différents réseaux conscients du vivant.

Tout ça parait carrément démentiel, sans doute bien loin de l’esprit végétal anthropomorphe que vous imaginiez, et pourtant, tous les chamans shipibo parlent de la mère des plantes de cette façon.

Cependant, une expérience n’empêche pas l’autre, et les chamans perçoivent aussi souvent les esprits sous des formes, disons… plus restreintes. De nombreux peintres ont souvent figuré ces esprits de la façon dont les Occidentaux ont naturellement tendance à les imaginer. Mais tout porte à croire que quand il est question de diète initiatique (celle où l’on apprend à devenir guérisseur), voyager dans l’ibo de la plante, se faire enseigner par les docteurs et trouver des alliés variés dans ce monde-là est complètement indispensable. Car ce sont ces alliés et ces enseignements qui vous donnent la capacité de guérir…

En diète de guérison, les choses sont un peu différentes. Il semblerait qu’il soit davantage question de yoshin plutôt que d’ibo.

Quoi qu’il en soit, c’est par les visions et les rêves qu’on accède au yoshin et à l’ibo, ces parties internes et conscientes des plantes, car la dimension psychique est commune à toute forme de vie, et c’est finalement de conscience à conscience que le contact peut s’établir entre l’humain et le végétal. Aussi, les états modifiés de conscience que sont le rêve et la transe sont la voie royale d’accès à cette rencontre inter-espèces.

Comment savoir si on a bel et bien rencontré l’esprit de la plante qu’on diète ?

C’est le sens des rêves et leur contenu qui permettent de reconnaitre la marque d’une plante, et c’est le chaman qui saura vous dire ce qu’il en est. Pareil pour vos visions en cérémonie. Mais il arrive aussi que ce soit dans la réalité ordinaire de la selva que se manifestent les yoshin. Les conditions spécifiques de la diète, avec l’isolement et les restrictions alimentaires et comportementales, ont tendance à métamorphoser l’espace sylvestre en une incroyable interface où les consciences humaines, végétales et animales s’expriment, et où psychisme et matière se superposent et créent de surprenants échanges… voire des synchronicités.

Car c’est autant dans son corps et dans la forêt que le diéteur cherche du sens, en interprétant ses sensations, ses rêves nocturnes et diurnes, et les signes émanant de la selva environnante...

La forêt finit par parler concrètement. En utilisant des intermédiaires animaux ou encore des évènements comme messagers, la selva devient une interface de communication symbolique entre notre conscience, notre inconscient psychique et somatique qui se projettent sur l’environnement extérieur, et les esprits.

Comme on le voit donc, si les plantes maîtresses ne sont à priori pas psychoactives, il se trouve que dans le contexte d’une diète, elles développent en fait une vraie puissance visionnaire.

Pour en savoir plus sur chaque plante maîtresse et les enseignements dont elle a le secret, je vous invite à consulter le Grand Répertoire des Plantes Maîtresses Amazoniennes que j’ai réalisé.

LES PLANTES DE CONTENTION

Les plantes de contention servent à contenir, tempérer les débordements des pensées et des sentiments chez quelqu’un qui rencontre une forte crise émotionnelle. Si l’idée n’est pas de réprimer ou d’enfermer les troubles, il s’agit tout de même de restaurer la tranquillité et stimuler la confiance du diéteur lors d’une de ces crises, afin qu’il puisse développer sa capacité à identifier ses propres impulsions, tout en les contrastant avec son environnement et ses expériences immédiates, en étant dans un processus réfléchi et conscient.

Ainsi, il gagne la capacité d’ordonner ses émotions et d’organiser ses pensées afin de les exprimer de manière cohérente et déterminée. Cela lui permet aussi d’assimiler et d’intégrer une situation nouvelle, parfois choquante, stressante ou douloureuse.

D’autre part, les plantes de contention permettent également au diéteur d’apprendre à sentir ses propres limites tout en l’aidant à mettre de l’ordre dans son monde intérieur. En boostant les rêves, en favorisant l’émergence d’idées et d’insights et en accélérant les processus cognitifs telles que la mémoire et la capacité d’association, ces plantes génèrent une meilleure connexion entre les émotions et l’esprit, ce qui permet au diéteur de mieux se concentrer.

Les plantes de contention se prennent donc à petite dose, pour un problème du plus physique au plus spirituel, au jour le jour. La durée de leur prise est comprise entre cinq et dix jours. En général, elles sont données avant d’aller dormir pour que le diéteur puisse profiter de l’influence qu’elles ont sur l’activité onirique, mais certaines sont trop fortes dans leur énergie et leurs effets pour être bues la nuit, elles perturberaient le sommeil, on les prescrit donc le matin.

Comme exemple de plantes de contention, on peut citer la Camalonga, dont on boit un macérat de graines qui aura été exposé au soleil. La Camalonga prise en contention rééquilibre le système nerveux, procure calme et tranquillité, augmente l'activité des rêves et régule le sommeil, stimule le désir de travailler, et nettoie des imprégnations négatives au niveau énergétique et spirituel. 

La Mucura, quant à elle, renforce le système immunitaire et amène de la clarté mentale. On l’emploie aussi comme protection contre la sorcellerie et l'envie, et peut également être utilisée dans les bains de fleurs. Elle aide à activer la volonté et l'initiative d'apporter les changements nécessaires dans sa vie. 

Enfin, comme on l’a vu au début de cet article, l’Ajo Sacha renforce le système immunitaire, la volonté, l'estime de soi et la capacité de décision ; elle aide à discerner ce qui est ou n'est pas approprié sur le chemin de la vie. Elle a un effet antidépresseur et éclaire l'esprit. On peut la prendre en inhalation, à l’aube, ponctuellement (parfois juste une fois, parfois trois matins d’affilé si le chaman estime que le mental est trop présent et donc l’esprit pas assez concentré et qu’on risque de croiser sa diète).

LES 3 ÉTAPES CLÉS DU PROTOCOLE THÉRAPEUTIQUE AVEC LES PLANTES

En suivant le labyrinthe esquissé par les chapitres précédents, on constate finalement que la diète suit un parcours logique constitué de trois phases majeures :

PURIFICATION DU CORPS

On vous donne des plantes qui vous font vomir, transpirer, avoir la diarrhée, afin de préparer le terrain pour qu’il soit le plus réceptif possible à la plante maîtresse que vous allez diéter et à l’entrée en scène de l’Ayahuasca.

Pour parler un langage plus imagé, si votre plante maîtresse était une graine, alors la phase de purification serait celui où vous bêchez et aérez le sol.

Si l’esprit de la plante maîtresse était votre invité, alors cette étape correspondrait au fait de briquer votre maison de fond en comble pour l’accueillir sous les meilleurs auspices, voyez ?

Toutefois, il faut noter qu’une fois de plus, quand le corps est propre, psychiquement et spirituellement, ça va déjà nettement mieux aussi… C’est même prouvé que l’état des circuits neuronaux est lié au domaine corporel.

Bref, vous voilà prêt pour la suite.

EXPLORATION DU DOMAINE ÉNERGÉTIQUE GRACE AUX ÉTATS MODIFIÉS DE CONSCIENCE

Vous découvrez votre intériorité, apprivoisez votre psychisme, vos émotions, votre inconscient, vos souvenirs, vos souhaits, à travers vos sessions d’Ayahuasca, mais aussi via ce que vous vivez en isolement dans votre tambo, pensées, rêves et intuitions d’un nouveau type.

Les vécus découlant de ces expériences peuvent être de différentes natures, naître du domaine physique (vous avez un truc à nettoyer dans le corps et ça se sent), psychique ou émotionnel (vous êtes relié à quelque chose d’entièrement personnel, du domaine biographique), ou encore spirituel (vos visions relèvent de l’expérience mystique, vous êtes en contact avec le monde des esprits). 

ENTRER DANS LE NIVEAU SPIRITUEL AVEC L’ENSEIGNEMENT PAR LES PLANTES MAITRESSES

Vous recevez des informations et des leçons concernant le sens de la vie et la nature de la réalité.

Bien sûr, ce type d’apprentissage n’est pas quelque chose que vous pouvez forcer, mais disons que la diète est une sorte de mise à disposition, de mise en capacité de recevoir des révélations.

Vous prenez conscience de l’intelligence de la nature, en vous et autour de vous, vous réalisez l’ampleur de ce réseau qui vous connecte à l’ensemble du Vivant.

Vous rencontrez des esprits qui habitent la création au même titre que vous, et qui font pour vous figure de maîtres.

Vous vous ouvrez au transcendant et découvrez que ce n’est pas une énergie vague et diffuse, mais qu’il s’agit d’une dimension habitée d’êtres intelligents, de sujets capables de partage…

A ce stade, il y a de fortes chances que vous ne voyiez plus jamais le monde de la même façon !

UNE MEDICINA TRANSPERSONNELLE

Ce qui est le plus étrange dans cette médecine, c’est comment tout ne cesse de permuter et de s’interpénétrer…

Une vague de nausée ouvre la voie des visions, dans le vortex desquelles s’opère une descente en soi, dans son univers intérieur, qui, par un mystérieux changement de perspective, switch quantique dont seule l’Ayahuasca a le secret, devient montée vers le royaume spirituel où les plantes possèdent des mondes à la fois organiques et technologiques, et ces mondes sont peuplés d’esprits prêts à nous apprendre à devenir un meilleur être humain…

Alors on retourne dans la réalité ordinaire, quittant la maloca pour se rendre aux toilettes avec une bonne diarrhée, et là, c’est en éliminant d’immondes déchets physiologiques qu’on parvient, assis sur le trône, à comprendre et intégrer un contenu transcendant, comme s’il fallait faire de la place en soi, dans ses tripes, physiquement, pour être en mesure de recevoir une sagesse venue de la terre et du ciel, à la fois ancestrale et cosmique…

Et on se dit que ces Hommes des bois que sont les Shipibo possèdent en fait le savoir le plus sophistiqué de la planète.

Tout dans cette médecine fonctionne ensemble, toute la mécanique est connectée, articulée, ce n’est que va-et-vient incessants entre furieuse purification, apprentissage au cœur des rêves, signes dans la forêt, visions d’autres mondes, messages susurrés depuis le fond de l’espace, reçus sous forme d’énigmes à résoudre dans la plus intime dimension de soi-même…

Les trois niveaux d’existence fusionnent et s’influencent, les trois phases de la diète se suivent, se chevauchent et se répètent, se répondent et se nourrissent mutuellement, et même si rien au monde ne peut garantir une guérison totale, ce qui est sûr, c’est qu’une guérison importante a lieu dans cet endroit métaphysique qu’est la selva des Shipibo, cette forêt mystique où microcosme et macrocosme se reconnectent enfin avec nous comme centre et zone de fusion…

… et j’ai hâte de vous retrouver dans la suite de ce dossier où l’on va aborder le principe vital kaya, les chants icaros, les dessins kene, et panshin nete, le jardin cosmique que la diète fait croître en nous…


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